samedi 13 juin 2009

Dégustation de vins italiens 12/06/09

Il y a quelques mois, à l'occasion d'une visite sur le salon Millésime Bio à Montpellier, j'avais fait la rencontre d'un groupement de vignerons italiens baptisé Trimillii. J'avais alors été très impressionné par la qualité de bien des vins présentés ce jour-là à la dégustation, du Moscato d'Asti 2008 de Mario Torelli au Barolo 2004 Vigna Rocche d'Andrea Oberto, en passant par les Gavi Filagnotti, Merla Bianca et générique 2007 et le Barbera Piemonte Mounbè 2005 de Stefano Bellotti. Ils m'ont appris que leur présence sur le salon avait pour objectif de trouver un importateur français susceptible de diffuser leurs vins chez nous.
De retour en Touraine, je me suis mis en relation avec Katia et Robin Gillis, avec qui j'avais eu l'occasion de découvrir les rieslings de Yochen Beurer et Peter Jakob Kühn dans le Württemberg, pour leur demander si l'import de vins italiens pouvait les intéresser. Ils se sont mis en relation, et les premiers échantillons sont arrivés récemment, et ont donné lieu à une très belle dégustation entre pros, à l'excellent restaurant Le Bout du Monde de Berthenay (1/4h à l'ouest de Tours) tenu de main de maître par le talentueux Christophe Roublin.
J'ai sollicité Katia et Robin pour organiser cette dégustation des Vendredis de Bacchus, club de dégustation que j'anime depuis plus de 3 ans, afin de prendre la température auprès d'un groupe d'amateurs et voir comment ils réagiraient face à ces vins exotiques. Ne pouvant être présents, ils m'ont vendu quelques bouteilles de leur petit stock d'échantillons, et je me suis mis à me documenter sur l'Italie viticole. J'ai rapidement été assez surpris de voir que les ouvrages de référence sur le sujet n'étaient pas légion, et après avoir demandé conseil à Rémi Loisel, que je sais lettré et véritable puits de science en la matière, j'ai fait l'acquisition de l'ouvrage général d'André Dominé intitulé sobrement "Le Vin" aux Editions PLace des Victoires, dans lequel sont consacrées 150 pages aux vignobles italiens, sur les quelques 928 que compte le bouquin. Excellente surprise, discours pointu, parfaitement documenté et relativement bon marché, j'en ferai à l'avenir un des piliers de ma bibiothèque.
J'y ai puisé l'ensemble des informations nécessaires pour concocter un quiz assez ludique, qui a visiblement recueilli les suffrages des participants.

Trois domaines y étaient représentés :

La coopérative agricole Valli Unite, un domaine piémontais créé il y a une 30aine d'années sur l'initiative de 3 vignerons qui souhaitaient réduire leur coûts de production et leur empreinte écologique en s'associant. Ils ont unifié leurs vignes, créé une étable pour bénéficier de leur propre engrais, et aujourd'hui la coopérative compte 25 emplois à temps plein, allant de l'ouvrier viticole au cuisinier, en passant par le charcutier et maître de chai. Car vous l'avez compris il ne s'agit pas d'une coopérative au sens péjoratif que beaucoup d'amateurs de vin accordent à ce vocable, l'idée essentielle étant de parvenir à l'autonomie, qu'elle soit financière ou logistique. Ainsi, sur place on peut se restaurer et déguster les diverses productions locales (vins, confitures, salaisons, viandes, céréales, lait, oeufs, fromages), trouver un hébergement (chambre d'hôtes), ou encore se cultiver et s'instruire (ferme pédagogique). Le domaine réserve chaque année une partie de sa production de vin (la cuvée Brisca, issue de barbera) au financement de projet à buts éducatifs, humanitaires et solidaires. A noter aussi que la coopérative fait partie du réseau Wwoof, qui permet au voyageur ("wwoofer") de proposer son aide aux divers travaux de la ferme en échange du couvert et du logement, au sein d'un réseau exclusivement constitué de fermes biologiques (les échanges d'argent y sont proscrits, on leur préfère l'enrichissement humain et le partage des expériences).

La Casina di Cornia et la Casavecchia alla Piazza sont deux exploitations viticoles toscanes plus classiques, chacune d'une 20aine d'hectares dont 7 et 6 de vignes, 1 et 4 d'oliviers et le reste en forêts et pâtures. La première, où la culture de la vigne remonte au 12ème siècle, s'est convertie à l'agriculture biologique en 1983 suite à son dernier rachat par le couple de français Antoine Luginbühl et Francine Dufour et a depuis réussi à complètement se passer du cuivre dans la lutte contre le mildiou, remplaçant ce métal lourd, souvent cité par les détracteurs du bio, par de la silice et de l'argile.
La seconde remonte au 16ème siècle et fut dit-on la propriété de l'artiste Michelange, et toutes les deux sont situées dans l'aire d'appellation Chianti Classico.
Voici les vins que nous avons dégustés provenant de ces 3 propriétés :

DOC Colli Tortonesi 2007 blanc "San Vito" Coop. Agri. Valli Unite (timorasso)
Vin chatoyant couleur de paille avec des reflets verts. Le nez est fortement minéral et clairement sudiste, d'abord dominé par l'alcool, pour ensuite évoluer sur la pierre à feu et l'herbe séchée. Ca me rappelle les vins blancs d'Haridimos Hatzidakis, à Santorin. En bouche la surprise vient d'abord par le volume impressionnant, largement soutenu par les 15° d'alcool, et les arômes sont toujours davantage minéraux que fruités ou floraux. Un beau vin de repas, très corpulent tout seul mais que j'aurais aimé tester sur un fromage de brebis très sec. Le cépage timorasso avait quasiment disparu du paysage italien, à une époque où on lui préférait des variétés plus productives car il se caractérise par des avortons floraux (grapillons qui ne donnent pas de grains) en plus ou moins grande quantité par grappe. Déjà connu de Leonard de Vinci, qui l'appréciait avec son fromage, il produit des vins qui se prêtent bien aux élevages longs car il montre une résistance inhabituelle à l'oxydation, et sa réhabilitation par quelques vignerons soucieux de biodiversité est en cours.

Vino da Tavola 2008 rosé "Rosatea" Coop. Agri. Valli Unite (fragolino)
De couleur carmin translucide, assez éclatant, on pourrait penser à un clairet, ce qui n'est pas exclu mais je n'ai pas l'info. Ce vin aurait grandement profité d'un carafage long tant il était réduit à l'ouverture des bouteilles. Côté aromatique donc, rien à dire si ce n'est que cette odeur de "croupe de cheval" a au moins permis aux participants d'identifier avec précision cette odeur si caractéristique, fréquente dans les vins élevés sur lies (ces dernières étant de grandes consommatrices d'oxygène, ce qui met le vin "sous vide" et le prive momentanément de tous ses arômes). La bouche est charnue et présente une finale gentiment tannique, ce qui laisse penser qu'il s'agit bien d'un clairet (à mi-chemin entre un rosé et un rouge, les clairets - souvent bordelais - sont le fruit d'une macération plus longue que pour un rosé, ayant pour résultat d'extraire un peu des tanins contenus dans les parties solides du raisin, en plus de la couleur contenue dans les anthocyanes).
Le cépage fragolino est un raisin de table, et c'est donc un vin hors-la-loi que nous avons là, étiquetté comme le Rosatea "classique" qui lui est réalisé à partir de muscat de Hambourg selon le même procédé. Son nom provient du mot italien "fragola" (fraise), et ma première expérience (illégale elle aussi) de ce cépage remonte à un voyage d'agrément à Venise où j'avais pu m'en procurer une bouteille sous le manteau. Je garde le souvenir d'un vin blanc (!) et moëlleux, très gourmand et intensément marqué par la fraise. Rosatea est donc une déception, car regoûté le lendemain la fraise n'était toujours pas au rendez-vous et le vin, même si la réduction avait disparu, était assez commun et présentait peu d'intérêt.

IGT Rosso Toscano 2008 rouge Casina di Cornia (70% sangiovese 15% canaiolo 15% trebbiano et malvasia)
Belle couleur rouge vif, tirant sur le vermillon, nez sur les fruits clairs (pêche de vigne?), matière très souple, voire un brin fluette, et superbe vinosité. Le candidat idéal pour le saucisson sec maison confectionné par Sylvain, charcutier émérite de Montbazon. C'est aussi un bel exemple d'une tradition toscane qui perdure consistant à intégrer une petite proportion de vins blancs au sangiovese, ici 15% de trebbiano et de malvasia (peut-être le nom local de notre pinot gris alsacien, également pinot beurot en Bourgogne, ou encore malvoisie dans le petit vignoble du Touraine Noble Joué). Un joli vin, qui pourrait être intéressant sous la barre des 10€, ce qui n'est ici pas le cas.

DOCG Chianti Classico 2007 rouge "Buondonno" Casavecchia alla Piazza (90% sangiovese 10% partagés entre merlot et canaiolo)
La bonne surprise de la dégustation nous est venue de ce vin, d'une parfaite droiture, plein, séveux et d'une grande finesse, il a rallié tous les suffrages. La sensation d'équilibre, d'harmonie n'y est sans doute pas pour rien. Tanins souples mais fermes, belle complexité, équilibre acidité/alcool lui donnant fraîcheur et persistance, ce fut bien sur une claque pour celles et ceux qui ne connaissaient du Chaniti que l'infâme décoction servie dans une grosse majorité des pizzérias. Ce vin sera sur mes étals d'ici peu, c'est promis.

DOC Collo Tortonesi 2005 rouge "Vighèt" Coop. Agri. Valli Unite (barbera)
C'est avec ce vin puissant et charnu que nous terminerons cette dégustation, sans doûte nettement moins approprié à une animation oenologique en plein air un soir d'été (ou presque). La couleur est bordeaux profond, montrant des signes d'évolution. Les odeurs sont nombreuses, du tabac blond au goudron, en passant par des effluves de prune et de laurier. La matière est très dense, avec des tanins serrés mais assez arrondis, j'imagine que ce vin sort tout juste de sa prime jeunesse, et qu'il a donc devant lui de belles années. Difficile d'évaluer cependant ses qualités, car tous ces éléments sont pour l'instant étroitement ligotés dans un mouchoir de poche, et cinq années supplémentaires en cave leur donneront davantage d'espace pour se distinguer plus nettement et intégrer un ensemble plus cohérent et harmonieux. Comme on dit chez nous, ça n'est pas encore "en place". Néanmoins, replacé dans une dégustation d'hiver, ou mieux, à table, il répondra présent avec intensité. Pour élaborer ce vin, il a fallu 2 ans d'élevage sous bois, et ensuite deux ans en bouteilles avant de le commercialiser, on comprend aisément pourquoi!

Une bien belle soirée, avec des participants toujours aussi contents d'être là, de quoi me conforter dans l'idée que les Vendredis de Bacchus verront encore de beaux moments. Quant à moi, j'en suis sorti encore plus convaincu de l'évidente nécessité d'un voyage sur place, et c'est pourquoi j'accepte avec délectation l'invitation de Katia et Robin de m'emmener avec eux dans le Piémont fin juillet. J'espère pouvoir y rencontrer Stefano Bellotti, de la Casina delli Uglivi, membres de la Renaîssance des Appellations, car le personnage comme ses vins très singuliers m'avaient fait vraiment une grosse impression à Montpellier. Ca fera bien spur l'objet d'un nouveau billet sur ce blog, et sans doute d'une nouvelle dégustation durant laquelle j'espère pouvoir proposer également de grands absents de cete dégustation tels que le spumante de chez Mario Torelli et quelques nebbiolos et barberas d'Andrea Oberto. Mais comme disent les italiens : "Que va piano va sano, e va lantano!"