mardi 12 octobre 2010

L'Enchanteur

Qui est réellement l'Enchanteur, entre René Barjavel et son héros Merlin dans cet ouvrage paru en 1984 aux éditions Denoël?
La question n'est pas anodine...
L'auteur fantasque nous livre ici sa version de la légende arthurienne, en en modifiant le point de vue. C'est aussi une occasion pour lui de s'exprimer différemment, avec les mots et les codes de la Chevalerie, sur la complexité du monde qui n'a jamais cessé de le hanter et de le fasciner.
Bien que non catholique, et comme un grand nombre d'entre vous probablement, je n'en suis pas moins croyant.
Ce passage, durant lequel il joue avec la délicieuse candeur de Viviane, semble bien s'adresser davantage à la foi qu'à la raison...
"Il dit :
- Voudrais-tu être obligée de monter à pied les six mille marches qui qui conduisent au sommet de l'Arbre? [NDR : l'Arbre de Vie]
Elle répondit :
- Oui, si c'est avec toi.
Il dit :
- Avec moi, mais autrement! Viens!...
Il lui prit la main et ils furent à la cime.
L'arbre était plus haut que toutes choses dans le monde.
Il se terminait à la façon d'une pyramide, sa pointe tronquée formant une plate-forme, d'un feuillage aussi dense et résistant que la pierre. Dans l'épaisseur du feuillage étaient gravées les empreintes de deux pieds côte-à-côte et tête-bêche, chacun assez grand pour accueillir un homme couché. L'un avait son talon à l'est, l'autre à l'ouest.
- Les pieds qui ont laissé ces traces sont ceux du premier vivant, dit Merlin. Celui que nous nommons Adam. Adam seul, avant Ève. Seul n'est pas le mot qui convient, car c'est un mot masculin. Adam n'était pas masculin. Ni féminin. Il était le Vivant, avant le partage du monde en deux.
- Il avait une curieuse façon de marcher! dit Viviane.
- Il ne marchait pas; il dansait! Et maintenant il court, il court après son sexe et son sexe est comme une plume dans la tempête : c'est le vent qui décide, et le vent ne sait rien... Et tout le vivant du monde s'agite, ou plutôt est agité, de la même façon... Regarde!
Le monde se montrait en rond, à plat, autour de l'Arbre, dans son entier, avec ses terres et ses mers et ses quatre saisons. Et Viviane le voyait dans sa totalité et dans chacun de ses détails. Elle vit des animaux familiers et d'autres qui lui parurent fantastiques. Elle vit dix millions de formes différentes d'insectes. Elle vit des fleurs grandes comme des tables et d'autres comme un grain de sel. Elle vit dans les eaux des océans des milliards d'espèces si petites que l'œil humain ne pouvait les voir et qui n'étaient ni plantes ni bêtes et les deux à la fois. Elle vit des êtres humains noirs, jaunes, rouges, bruns, blonds, roux, grands, petits, en foules, en couples, en armées, en famille. Et plantes, bêtes, humains, géants, invisibles, volant, nageant, rampant, gluants, courant, sautant, grouillaient du même mouvement incessant, désordonné, chaque être n'étant qu'une moitié cherchant sa moitié, trouvait une autre moitié qui n'était pas la sienne, essayait de s'unir, ne faisait que s'accoupler, se séparait, recommençait, tandis que naissaient partout, sans arrêt, d'autres moitiés qui, dès qu'elles pouvaient bouger, commençaient à chercher leur moitié...
- Mais pourquoi? demanda Viviane. Pourquoi Dieu a-t-il séparé les moitiés du monde?
- Lui seul le sait! dit Merlin. Adam premier était au commencement, mais il était aussi une fin, puisqu'il était complet... Peut-être cela n'était-il pas bon. Il contenait toute la vie, mais la vie en lui ne bougeait pas. Il était pour elle une prison. Dieu l'a coupé en deux pour que la vie s'évade et se mette à couler. Adam plus Ève sont devenus source. Tu as vu grouiller la vie dans le monde présent, regarde-la couler à travers le temps...
Et Viviane vit Adam homme et Ève femme couchés côte à côte sur la terre nue. Ils se tenaient par la main, et de la poitrine ouverte d'Adam et du sexe ouvert d'Ève coulait une source qui devenait ruisseau puis fleuve. À mesure que passaient les milliers et les millions d'années, le fleuve s'élargissait, devenait plus profond, plus puissant, emplissait les océans, submergeait les continents, et continuait de couler, lent, puissant, inexorable, formidable. Chacune de ses gouttes était un être vivant qui, homme ou insecte, s'accouplait et engendrait d'autres êtres vivants qui n'avaient d'autre mission, d'autre devoir, d'autre raison d'être, que d'engendrer d'autres vivants chargés de la même mission.
- Où va ce fleuve? murmura Viviane. Va-t-il quelque part?
- Regarde-le bien : au contraire des fleuves non vivants, il ne coule pas vers le bas : il monte...
Et Viviane vit que le fleuve était déjà plus haut que les terres et les océans, plus haut que les montagnes. Elle regarda le ciel, demanda :
- Là-haut?...
- Là-haut il y a d'autres mondes, aussi nombreux que les gouttes du fleuve...
Et Dieu?
- Dieu?... La vie mettra peut-être l'éternité pour le rejoindre..."

vendredi 17 septembre 2010

Ça sert à rien, mais ça fait du bien quand même

Ce bel été, j'espère que vous en avez bien profité.

Car alors que nous étions étendus sur un confortable transat, baignés par un soleil vainqueur et totalement dépaysés, un roman captivant à la main et à la recherche de l'abandon total, ce bel été disais-je aura vu dans le même temps de sinistres convois prendre le chemin des airs vers l'est (j'aurais préféré des soutes pleines de rhums), quelques pieds de vigne alsaciens d'apparence innocents saccagés par une bande d'"irresponsables notoires et dangereux" (ICI), les rumeurs de corruption continuer de noircir les colonnes des journaux à tel point qu'ils en sont presque tous devenus "à scandale"...

Bientôt les feuilles des tabloïdes s'amoncelleront aussi nombreuses que celles des arbres rassasiés se délestant d'un poids devenu gênant, jusqu'à noyer les pieds des badauds.

Hé oui, les raisins de septembre s'annoncent aigres comme s'ils auguraient à leur manière d'une fort redoutée vendange sociale.

Les gratte-papiers s'en sont donné à cœur joie, y compris sur internet, certains explorant parfois quelques méandres temporairement mis de côté au profit d'une actualité plus "chaude".

Comme par exemple dans un billet sur le blog de Jacques Berthomeau intitulé "Contribution à une approche fine des bobos buveurs de vins enracinés", où je me suis presque reconnu (ICI). En un exposé aussi bref que lapidaire, l'auteur rend compte d'une énième césure entre les populations, pointant de son doigt vengeur ceux qui ont choisi de consommer autrement, d'investir dans leur alimentation plutôt que dans une occasion récente à prix cassé chez un faillitaire, un bouquet d'actions BNP ou une caisse de grand cru classé chez Leclerc.

On peut décider de fermer les yeux et, ce faisant, de ne pas s'émouvoir sur le renoncement du chef d'entreprise qui baisse une dernière fois son rideau, sur l'impact social et environnemental de l'utilisation faite de l'argent des épargnants par les banques (ICI), ou sur ce que vaudront "en vrai" ces vins revendus quelques années plus tard, sans même avoir été goûtés, à un fétichiste inculte qui de toute façon ne distingue pas l'or dans tout ce qui brille.

Pour certains, il semblerait que le rendement prime sur les caudalies...

Ces bouteilles cossues sont à acheter dans les innombrables succursales de la grande distribution, entre un pack de Vittel, un lot de cacahuètes Benenuts et... un paquet de papier hygiénique. On peut donc profiter d'une virée chez Michel-Édouard et consorts pour garnir son caddie sous prétexte que c'est la manière de tourner qu'a pris le monde et qui sommes-nous-nom-d'un-chien-pour-prétendre-y-changer-quoi-que-ce-soit? On peut même le faire avec le sourire, à l'idée que dans l'adversité ce sont toujours les plus malins qui l'emportent, ceux qui savent "faire des économies". Malheureusement, ces flacons tiennent souvent davantage de la taxidermie que du véritable Art de faire le vin, et nombreux sont les opportunistes d'aujourd'hui qui feront les désappointés de demain...

J'ai dans ma cave encore quelques bouteilles de ce genre (essentiellement des orphelines, issues de vignobles prestigieux), achetées cher et de bon cœur à une époque pas si lointaine où mes repères étaient fragiles.

Seulement, malgré un stockage irréprochable et une patience raisonnablement éprouvée, une fois les attributs de l'élevage en barriques disparus, au moment où le raisin devrait retrouver sa place, ne subsiste plus qu'un macchabée...

D'ailleurs, dans ces flacons richement parés du plus beau vélin, rehaussés d'écritures alambiquées et de volutes classieuses, y a t-il déjà eu réellement quelque chose?

Ces raisins sont-ils toujours en mesure d'illustrer le savoir-faire millénaire qui a fait du vin l'objet de toutes les convoitises gastronomiques?

Ou bien au contraire sont-ils devenus une grossière copie de plastique, débarrassée des incertitudes et affranchie de ce satané millésime qui régente tout?

Peut-être même que bientôt ils pousseront directement avec un code-barre sous la peau pour une meilleure traçabilité, une puce RFID pour un guidage par satellite de la machine à vendanger, un bouton-pression à la place du pédoncule pour égrapper plus vite...

Les fruits viciés de nos cauchemars proviennent-ils de ces vignes où la présence d'un seul ver de terre paraîtrait aussi incongrue qu'une tête de taupe perforant le macadam d'un trottoir de Paris, sous le regard ébaubi des passants?

Des endroits comme celui-ci existent pourtant bel et bien, il suffit d'arpenter nos chers vignobles avec les yeux bien ouverts pour voir que, tous les jours, des hommes marchent sur la lune...

Avec ces raisins comme matière première, la règlementation s'est adaptée (ou peut-être est-ce l'inverse), elle permet désormais l'élaboration de jus blafards que de multiples couches de fonds de teint permettent de rendre tout juste présentables.

Trois cents additifs sont aujourd'hui autorisés rien qu'à la cave, tant pour garantir une hygiène et une stabilité parfaites, que pour rattraper les déficiences de ces raisins malmenés, cueillis avant terme, affaiblis, inaboutis, impropres en l'état à une vinification sereine et peu interventionniste telle que l'ont pratiquée par le passé ceux qui ont donné au vin son statut si singulier et sa mystérieuse attraction.

Il subsiste encore de petits miracles accumulés au fond des caves par des gens avertis et conservés par leurs descendants, entreposés à une époque où cette pharmacopée n'existait pas, et beaucoup sont encore assez fringants pour embraser les cœurs les plus durs.

Bientôt, ce sera au tour de leurs rejetons enfants du progrès chimiquement assistés de recruter dans les rangs des jouisseurs, dévoilant leurs atours aux plus patients d'entre eux.

Que de désillusions alors, lorsqu'ils se rendront compte que la donne a changé, que les sentiers jadis balisés sont jonchés de détritus et peuplés de brigands forts en gueule.

Le marché des additifs est juteux, et il est royalement partagé entre ceux qui créent les déséquilibres agricoles (en premier lieu les fabricants de pesticides) et ceux qui neutralisent ensuite leurs effets sur la vendange (les laboratoires), de sorte qu'au final les uns ne vont JAMAIS sans les autres. Quand ils ne sont pas deux tentacules de la même pieuvre...

Dans tous les cas, la facture est salée, et dix années d'utilisation suffisent à sceller le piège. Il se referme alors sur le vigneron sans lui laisser la moindre possibilité de retour, car ses terres souillées ont besoin d'autant d'années sinon bien davantage pour revenir à leur état d'origine, pour revivre. Beaucoup aujourd'hui le reconnaissent, voudraient bien changer leurs pratiques mais n'ont économiquement aucun autre choix que celui de maintenir leur perfusion bien attachée.

Ces vins nous les retrouvons majoritairement dans les circuits généralistes cités plus haut, et les "grands domaines" n'y sont pas en reste. Le "sang bleu" du Médoc a été transfusé depuis belle lurette et acheté cash par de puissants groupes financiers, compagnies d'assurance, fabricants de médicaments, distillateurs de "solutions" agronomiques (les mêmes qui furent jadis vendues aux états-major des armées comme "finales" et dont on a juste changé la plaquette promotionnelle). Les illustres châteaux sont devenus des "wineries" sauvées de la peste des méventes par le choléra des actionnaires lointains. Ces "bienfaiteurs" ont placé quelques billes aussi chez Carrefour et ont beaucoup d'amis au dernier étage de la Tour Auchan, ceci expliquant cela...

Dans les œillades adressées par les catalogue des foires aux vins de grandes surfaces, si gentiment déposés dans nos boites aux lettres, on pourra trouver également le vin de quelque vigneron perdu, égaré aux abords de cet oasis en ruine auquel son grand-père tenait tant, et dont il se reproche de n'avoir pas su prendre soin. Tant pis pour lui s'il ne constate qu'aujourd'hui l'étendue mensongère des modes d'emploi des produits-miracle, et s'il finit par brader ses propres ouailles au-dessous du prix de revient à des "serial-acheteurs" bien informés, auxquels il ne manque plus que la noire livrée du croque-mort en service commandé.

Dans un dernier spasme et une fois le contrat signé, il se risquera à feuler un courageux "Non monsieur mon slip je le garde!".

Imaginez un instant si les vignerons subissaient le même sort que les producteurs de lait...

Une tranchée se creuse, j'entends déjà le bruit sourd que font les sacs de sable qui s'empilent de loin en loin, les armées de juristes et de législateurs, le doigt sur une énorme gâchette attendant le feu vert de l'agent orange qui condamnera, en un ultime assaut orchestré depuis Bruxelles ou Paris, ce qui reste encore d'authentique dans nos patrimoines gastronomique, culturel et même génétique.

Sous les obus de 22, tomberont, pèle-mêle : le vaillant camembert au lait cru, le vin nature et le pain au levain, les cinémas de quartier, le dernier disquaire.

Le gaz moutarde se chargera d'éradiquer une fois pour toutes les restaurateurs qui ne vont pas chez Métro, les tomates qui ne sont pas hybridées, les poules qui ont encore un bec, les ADN toujours vierges, et les cavistes emmerdeurs.

Le verre que je lèverai si ce moment arrive, pour me donner du courage, c'est en votre compagnie que j'aimerais le boire d'un long trait qui fait monter le rouge du fond du cristal vers le haut des joues.

Même si beaucoup de détails m'échappent, j'ai tout de même fini par comprendre que ça n'est pas avec le nez collé sur la Joconde qu'on embrasse le chef d'œuvre. Que ça n'est pas non plus en disséquant la grenouille que l'on saisit davantage l'étrange miracle qui la met en mouvement. Entre nous, sérieusement, personne n'est jamais tombé amoureux simplement d'un sourire ou d'une jolie paire de hanches, non?

Pour apprécier la beauté, celle de certains vins par exemple, technique et intelligence sont vaines et inutiles. À la première nous devons l'acuité aux détriments du recul, et à la seconde la capacité d'analyse, l'aptitude à "conscientiser", tant pis alors pour la spontanéité.

De loin je leur préfère l'attention et le détachement, pour faire le vide et se désincarcérer du monde hyper-influent qui nous entoure et faire enfin naître l'émotion.

Laurent, attention-méchant-caviste!

mardi 7 septembre 2010

Pour que la retraite soit autre chose qu'un changement de purgatoire

"Le travail est l'invention la plus abominable et la plus merveilleuse du monde. Dieu en a jeté le fardeau sur nos épaules, après la dégustation de la pomme, comme on punit un enfant qui a mis la main dans le pot de confiture : "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front!". Avec la retraite au jugement dernier. C'est long...

Nous avons chassé l'auroch, retourné la terre, forgé le bronze et le fer, bâti nos maisons, nous voici aujourd'hui à l'usine et au bureau, sans être au bout de nos peines. Et jamais notre peine n'a été si lourde, jamais sur nos épaules le fardeau si bardé d'épines. Certes il y a eu, par-ci par-là au cours des âges, l'esclavage. Mais ce n'était que par-ci par-là. Partout ailleurs, l'homme s'était accomodé de la malédiction en la transformant en raison de vivre. Il n'y a pas de satisfaction plus grande pour un être humain que d'accomplir, jour après jour, un travail qu'il aime. Ce sont ses mains travailleuses, autant que sa capacité crânienne, qui ont fait de l'homme ce qu'il est ajourd'hui. En transformant une branche en manche de cognée, elles lui enseignaient l'équilibre du mouvement et la beauté des justes proportions. En façonnant la pierre, le cuir, le bois, le fer dans le feu, elles le brûlaient et le façonnaient lui même. L'homme, en faisant, se faisait.

Mais aujourd'hui, il ne fait plus rien : il fabrique. Le travail est devenu une peine abstraite. Le travailleur ne voit pas lever la moisson que sa sueur a arrosée.

La joie du potier qui sortait du four la cruche aux hanches parfaites modelées par ses mains lui a été définitivement ôtée. L'objet fini sort tout emballé au bout de la chaîne, à des millions d'exemplaires que nulle main n'a touchés. En même temps, les conditions du travail sont devenues abominables. L'horrible usine inventée par le XIXème siècle a conservé son inconfort et son aspect de bagne, mais son vacarme a augmenté, son rythme s'est accéléré, ses dimensions se sont multipliées, elle dévore les matières premières et les travailleurs à des vitesses de plus en plus grandes et crache des déchets dans tous les azimuts, empoisonnant les hommes même lorsqu'ils l'ont quittée. Dans le cycle de fabrication, le travailleur n'est plus un être humain mais un élément de la chaîne, introduit neuf, non sans quelques difficultés de rodage, et éjecté lorsqu'il est usé sur toutes ses faces. La matière humaine est si fantastiquement résistante qu'un tel élément peut durer trente ou quarante ans, ce dont aucun acier ne serait capable. Dans les bureaux, l'homme use les dossiers, les meubles, les papiers, les ordinateurs, les immeubles, et il demeure.

Que le travailleur du bureau ou de l'usine ait envie de s'évader de ce cycle infernal avant d'être réduit à sa simple colonne vertébrale est un réflexe, bien compréhensible, de l'instinct de conservation. La retraite à 60 ans? Revendication modeste. , Quand le travail ne procure aucune joie, quand il n'est que la corvée quotidienne, précédée et suivie de celle du transport, à laquelle on doit obligatoirement se soumettre si l'on veut manger demain, il devient haïssable, et plus tôt chacun lui échappe, mieux cela est.

Aujourd'hui, s'il n'a pas abusé du beaujolais et de la gauloise, s'il n'a pas eu quelques partie de son organisme ratatinée par les conditions de son travail, un homme de 60 ans n'est pas vieux. , une femme encore moins, quoi qu'il y paraisse parfois. Que vont-ils faire de ce long morceau de vie qu'il leur reste à vivre? De la trilogie dodo-métro-boulot, deux termes vont tout à coup disparaître, laissant un vide énorme dans leurs habitudes, dans leurs gestes dans leurs pensées. Les plus chanceux auront préparé un petit coin à la campagne pour s'y retirer et s'y distraire autrou de trois poireaux-pommes de terre, mais la grande masse de ceux qui sortiront de la chaîne aussi démunis qu'ils y sont entrés, que vont-ils devenir? S'asseoir au foyer de leurs enfants déjà trop étroit? Subir les rebuffades du gendre ou de la bru? , Se sentir très vite gênant, poussé dans un coin, comme une épine dont l'organisme veut se débarrasser, s'entendre dire que tout serait mieux si on n'était pas là, savoir qu'on n'a plus qu'une seule façon de s'en aller, et attendre, attendre, attendre, que la dernière porte s'ouvre...

À soixante ou soixante-cinq ans, la retraite dans la société d'aujourd'hui n'est pas la récompense d'une vie d'effort, mais la mise à l'écart d'un outil usagé. Que la rouille le ronge, c'est le sort normal de ce qui ne sert plus... En quittant le travail obligatoire pour entrer dans l'ennui inévitable et souvent la misère, le retraité ne fait que changer son purgatoire pour un autre peut-être pire.

Et si l'on n'y pense pas dès aujourd'hui, quel sera le sort de nos enfants retraités? Quand la France comptera les cent millions de Français souhaités par la folie des économistes, dont vingt ou vingt-cinq millions auront pris leur retraite, non plus, le progrès aidant, à soixante ans mais à cinquante, ou moins? Des visions de science-fiction ubuesques viennent à l'esprit : des silos verticaux de retraités, avec des rangées de couchettes superposées empilées jusqu'au centième étage, contenant chacune un retraité couché, un écran de télévision devant les yeux, des écouteurs dans les oreilles, abreuvé de l'aube à la mi-nuit de westerns et de chansonnettes, sans oublier les feuilletons... De quoi le faire tenir tranquille et tout oublier, y compris lui-même.

J'ai l'air de plaisanter avec un sujet grave, mais une caricature fait plus facilement saisir la vérité qu'une photographie. Or, la vérité, c'est que les sociétés se préoccupent bien peu de l'homme, en tant qu'être humain. pour les économistes il est un outil de production et un aspirateur de consommation, pour les idéologues une amre pour détruire les vieilles lunes et une brique pour construire les nouvellles. Tout cela peut être, selon les nécessités, soigné, négligé, comprimé, astiqué, entassé, peint, huilé, aligné, lessivé, jeté, oublié... Peu importe... Ce n'est que de la statistique.

Je suis bien certain que le VIème plan ne comporte pas une virgule consacrée aux retraités de l'an 2000. Ils sont pourtant, déjà, au travail...

Pour que la retraite soir autre chose qu'une mise au rebut, il faudrait la préparer dès la maternelle. La retraite - quel mot affreux, qui fait penser à la Bérézina! - ne devrait pas être une fin, mais un commencement, celui de la vie libre, aisée, joyeuse, préparée de concert par la cité et le citoyen. Les machines vont raccourcir de plus en plus le travail de l'homme. De plus en plus, l'essentiel de sa vie va devenir le temps où il ne lui sera pas nécessaire de travailler pour gagner sa vie. Dès son enfance, il faudra lui réapprendre les gestes essentiels que notre civilisation démente lui a désappris : semer une graine, assembler le bois, caresser une bête, tailler une pierre, écouter le vent, tresser le cuir, regarder un arbre, sourire aux oiseaux, prendre la terre dans sa main...

Et dès qu'il entrera au bureau ou à l'usine, lui permettre de choisr le lieu de sa vie libre future, d'acquérir peu à peu sa maison dans un vieux village ou dans un neuf, lui donner les moyens de l'habiter pendant ses loisirs de plus en plus longs, de l'aménager, de l'agrandir, de la faire vivre autour de lui, de se préparer elle et lui à vivre ensemble, de connaître déjà ses futurs voisins. Pour que le jour venu, il soit chez lui, et il sache qu'y faire de ses mains. La frénésir actuelle du bricolage montre à quel point l'homme de l'an-presque-2000 éprouve le besoin de revenir à un travail à ses mesures et dont il puisse voir et toucher les résultats. Les villages morts de nos campagnes ont été abandonnés parce que leurs habitants ne pouvaient plus s'y procurer les ressources nécessaires. On pourrait les repeupler avec des gens heureux, assurés de leurs moyens d'existance. Mais cela ne peut se faire que lentement. On ne s'enracine pas aussi vite qu'on est déraciné.

Nous avons tué le village, la ville nous tue, le village ressuscité peut nous aider à nous sauver.

Les caisses de retraite, la sécurité sociale, les syndicats, les ministères intéressés, les patrons pourraient déjà amorcer cette politique. Ce n'est pas tant une question de ressources que de leur mode d'emploi. Mais il faudrait cesser de penser en bilans et en effectifs, pour penser aux hommes.

En attendant cet avenir buccolique et malheureusement peu probable, nous qui sommes déjà ou qui entrons dans le troisième âge sans être assurés de rien sinon de l'endroit où finalement il nous mène, sachons profiter de chacun des jours qui nous sont encore donnés. Même s'ils sont gris ou parfois noirs ils sont encore merveilleux. Chaque respiration est un miracle. Savourons-la. J'ai reçu cette semaine la visite d'une ravissante vieille dame qui malgré son grand âge vient quêter à domicile pour les vieillards de l'arrondissement. Je l'ai priée de s'asseoir. Elle m'a répondu vivement "Non! Si je m'assieds je ne peux plus me relever!..." Elle s'est exclamée de joie devant le paysage parisien qu'on voit de ma fenêtre. Elle joignait ses mains menues en un geste d'adoration en regardant le ciel brumeux et les toits gluants de l'hiver. Elle m'a dit du bien de tous les voisins chez qui elle venait de passer.Elle m'a avoué qu'elle se levait en chantant, chaque matin, à six heures et demie. Elle est repartie comme un feu follet. Elle a quatre-vingt-huit ans...

S'oublier pour servir les autres, accueillir chaque matin par la joie, s'émerveiller même devant la pluie : je ne lui souhaite pas le Paradis, elle y est."

René Barjavel, dans un article du Journal du Dimanche daté du 28 novembre 1971

samedi 28 août 2010

Un vendredi 13 à 5h

Ce sera sans doute le jour de l'immatriculée contraception ou une connerie comme ça...
Cette année-là exceptionnellement tombera un vendredi 13 et j'apprendrai par Radio Mongol Internationale la nouvelle de cette catastrophe aérienne dans le secteur septentrional de mes hémisphères cérébelleux...
Là où je mouille mes tankers de lucidité comique les nuits où je descends la dernière avenue du globe en traînant ma tête dans un sac en plastique

Un vendredi 13 à 5h

Ce jour-là j'pèt'rai mon cockpit
dans la barranca del muerto
Avec ma terre promise en kit
et ma dysenterie en solo
Et les anges de la dernière scène
viendront s'affronter à ma trouille
Passeport/visa/contrôle des gènes
et radiographie de ma chtouille

Je tomb'rai comme un numéro
4.21 sur le compteur
Nuage glacé à fleur de peau
dans l'étrange ivresse des lenteurs
Et pour arroser mon départ
j'voudrais qu'mon corps soit distillé
Et qu'on paie à tous les traîn'bars
la der des ders de mes tournées

Be still my soul
Couchée mon âme au pied tranquille
Be still my soul
Tout ira bien au pied couché... hé, couchée

Je m'écraserai sur oméga
chez les clowns du monde inversé
En suppliant Wakan-Tanka
d'oublier d'me réincarner

Hubert Félix Thiéfaine, Alambic/Sortie Sud (musique Claude Mairet)

mercredi 25 août 2010

Fauchage de vignes OGM à l'Inra de Colmar, comment faire le tri?

À 5h, le 15 août dernier, à l'Institut National de Recherche Agronomique de Colmar, 70 faucheurs volontaires d'OGM venus de toute la France se sont introduits dans une parcelle de vignes génétiquement modifiées faisant l'objet d'expérimentations sur le virus du court-noué. Ils ont procédé à l'arrachage de l'ensemble des ceps, puis ont averti la gendarmerie et la presse, qu'ils ont ensuite attendues sur place.
Quelles menaces pouvaient peser d'après eux sur l'avenir de la viticulture pour qu'ils délaissent l'habituel maïs devenu désormais un symbole de leur lutte contre la brevetisasion du vivant?
Les pouvoirs publics ont bien sûr dénoncé la sauvagerie et l'obscurantisme, l'archaïsme et l'aveuglement, puis ils ont déploré les années de recherches gâchées par la folie de quelques-uns, entraînant un retard irrattrapable, une compétitivité rabotée sur l'enclume du fanatisme. Dès lors qu'il s'agit d'une atteinte portée à des travaux financés par les deniers publics, on ne pouvait attendre autre chose qu'une indignation des élus. Sans parler de celle des nombreux chercheurs qui ont vu, en l'espace d'une poignée de quarts d'heure, leurs travaux entamés et réduits à néant sous les coups de serpette et de bêche.
À la colère, succède l'interrogation, et dans les médias on fait écho de la légitimité de ces travaux face aux enjeux de l'agriculture de demain, de la pertinence de ses orientations, de leur plus complète innocuité. Puis on leur oppose les arguments des faucheurs, soutenus eux-mêmes par quelques scientifiques provocateurs et une multitude de petits et grands réseaux, de collectifs alarmistes, qui tiennent tantôt d'un débat scientifique difficile à vulgariser tant il est pointu, du discours fleuri de ceux qui attribuent à Dame Nature toutes les vertus et tous les droits incluant celui de refuser le viol, tantôt enfin des idéalistes détracteurs dénonçant un lobbying outrancier et purement vénal.
Revenons malgré tout sur quelques faits, pas toujours mentionnés dans cette foule de papiers :
Cette maladie est un virus transmis à la vigne par le sol, dont le vecteur est un ver minuscule appelé nématode, qui le lui transmet au moment où il se nourrit de sa sève.
Les vignes européennes, depuis le désastre du phylloxéra à la fin du 19ème siècle, sont greffées sur un porte-greffe américain, lui permettant de résister à ce puceron qui l'avait décimée en laissant des plaies sur ses racines. La mort survenait alors par septicémie.
Le nématode qui véhicule le court-noué passant par la terre, les expériences menées par l'Inra concernent la partie enterrée de la vigne, le porte-greffe. L'objectif de ces travaux est de vérifier d'une part l'efficacité de cette méthode (qui vise à attribuer au génome de la vigne - en le modifiant - des capacités de résistance au virus qu'elle n'a pas à l'état naturel) et d'autre part à déterminer les dangers potentiels que pourraient représenter sa culture à grande échelle, en milieu non confiné.
Un des arguments des scientifiques, puisque la question des OGM demeure brûlante sur ce dernier point, repose sur l'affirmation que le transgène - entendez par là la partie de la plante qui a fait l'objet d'une modification humaine - ne pouvait pas se transmettre du porte-greffe vers le greffon (le cépage). Se reposant sur cette affirmation, les viticulteurs-chercheurs ont donc pris le soin de couper les hampes florales des vignes afin de se prémunir d'éventuels problèmes de dissémination dans la nature.
A la lecture de cet exposé, l'initiative des faucheurs paraît aberrante et injustifiée, voire cruelle à l'égard des équipes qui ont consacré 7 années de leur carrière à ces travaux de pointe.
Il convient de lui adjoindre quelques informations, que les médias n'ont sans doute pas su appréhender et intégrer à leurs analyses, préférant sans doute laisser au débat sa dimension passionnelle, infiniment plus vendeuse qu'un roboratif rapport circonstancié.
En 2008, rien moins que le directeur de la station viticole de l'Inra de Colmar Jean Masson faisait part de ses incertitudes dans le quotidien Les Échos au sujet de la fameuse barrière infranchissable du porte-greffe génétiquement modifié vers le greffon. Soudainement, l'édifice se met à chanceler par la base. Curieusement, Jean Masson n'est jamais revenu sur ces propos.
En 1997, une équipe de l'Inra de Versailles qui travaillait sur le tabac, avait déjà déjà mis en évidence la transmission très importante de produits du transgène du porte-greffe vers le greffon.
En outre, Christian Vélot, docteur en Biologie et en génétique moléculaire à l’Université Paris-Sud fait état d'un problème supplémentaire, à son avis bien plus inquiétant encore : « Le véritable danger de cette vigne (comme toutes les plantes transgéniques résistantes à des virus), c’est qu’elle est un véritable réservoir à virus recombinants. Il s’agit de plantes transgéniques dans lesquelles le transgène est un gène viral. La présence de ce transgène les protège contre le virus en question ainsi que contre les virus apparentés (sans qu’on n’en connaisse vraiment les mécanismes intimes). Or, les virus ont une très grande capacité à échanger spontanément leur ADN (phénomène de recombinaison) : les séquences d’ADN viral sont très recombinogènes. Par conséquent, quand cette plante est victime d’une infection virale, il peut se produire très facilement des échanges entre l’ADN du virus infectant et l’ADN du transgène, ce qui conduit à l’apparition de virus dits recombinants dont on ne maîtrise rien et qui vont pouvoir se propager dans la nature. Il est là le vrai danger avec ces plantes, ! Avec des plantes conventionnelles, une telle situation ne peut se produire que si la plante est infectée simultanément par deux virus. Avec ces plantes transgéniques, au contraire, un seul virus suffit et on augmente donc considérablement la probabilité de ces évènements. Tout ceci est expliqué en détail dans mon livre (OGM : tout s’explique) aux pages 140 à 142. »
L'Inra est régulièrement sollicitée pour expertise dans le cadre des Autorisations de Mise en Marché (AMM), préalables administratifs à la commercialisation en France de produits phytosanitaires et de leurs dérivés.
Les représentants de l'Institut ont à plusieurs reprises évoqué, dans la liste des dommages subis par le fauchage de Colmar, l'impossibilité désormais de pouvoir procéder efficacement à leur évaluation.
En revanche, l'Inra détiendrait les clés d'une seconde méthode, visiblement "boudée" par les industriels car inexploitable en l'état pour eux : Alain Bouquet, un de ses chercheurs de Montpellier, est parvenu à trouver une parade au court-noué il y a déjà quelques années, sans recourir à la modification du génome, par simples croisements de différentes souches de porte-greffes. La méthode fait elle aussi l'objet d'une demande d'AMM, qui si elle était accordée pourrait représenter une solution bien plus viable économiquement.
Pour quelles raisons cherche t-on ailleurs?
En fouillant un peu encore, on découvre que la technique employée par l'Inra de Colmar dans ce cas précis fait l'objet d'un brevet international déposé en 1985 par... Monsanto.
Les travaux de Colmar sont donc "encadrés" par ce brevet, renouvelé en 2005 par la firme américaine pour une nouvelle vingtaine d'années. Et par conséquent si l'Inra parvient à imposer son point de vue et arrive aux termes de ses travaux, il y a fort à parier qu'elle ne remplira pas que ses poches...
Quelles conclusions tirer de tout cela?

vendredi 30 juillet 2010

La troublante symbolique des chiffres


Hier soir, sous une pile confuse de livres en attente, je remets la main sur un essai (comment l'appeler autrement?) de Bernard Werber, le fameux auteur des non moins fameuses Fourmis et autres Thanatonautes.
Ce livre se nomme "Le Livre du Voyage".

Derrière une calandre en trompe l'œil, illustrée de faux gonds antiques supposés rappeler un quelconque antique grimoire, le tout par-dessus un fond bleu ciel, je pense tout de suite à un bouquin des témoins de Jéhovah.
La quatrième de couverture ne me rassure pas davantage :
Imaginez un livre qui serait comme un ami de papier.
Imaginez un livre qui vous aide à explorer votre propre esprit.
Imaginez un livre qui vous entraîne vers le plus, le plus simple et le plus étonnant des voyages.
Un voyage dans votre vie.
Un voyage dans vos rêves.
Un voyage hors du temps.
Ce livre vous le tenez entre vos mains.
Tiraillé entre plusieurs impressions contradictoires (je suis d'abord déçu par tant de spiritualité new age dégoulinante, puis intrigué par autant d'assurance, enfin fort surpris lorsque je tente d'associer un tel projet à un auteur dont j'ai après tout plutôt bien apprécié la prose jusqu'à présent), j'en viens à conclure que l'éditeur Albin Michel, connu pour saisir à bras le corps chaque occasion de mettre un peu de sensationnel sur ses packagings, ne doit pas être pour rien dans cette mise en scène cul-cul.
Bon.
On ne va quand même pas en rester là, voyons voir si les entrailles de cet ouvrage sont de la même couleur que son épiderme.
L'expérience vécue dès ce moment je ne vous la livrerai pas, et même si globalement ça n'est pas le livre du siècle on y retrouve avec réconfort les grands talents de l'auteur lorsqu'il vous rapproche sans vous anesthésier des grandes théories de l'Univers avec des mots simples, en bon pédagogue. La sagacité intellectuelle de Werber transparaît seulement lorsqu'on se voit partir avec lui, qu'on se laisse bercer, qu'on s'aperçoit avec certitude que jamais il ne tentera de vous semer.
À toutes celles et tous ceux que l'apparence décalée de ce livre a pu rebuter au point d'en choisir un autre, revenez-y.
Pour revenir au titre de ce billet, il est dit dans le Livre du Voyage une chose qui m'a troublé, amusé. L'auteur évoque le secret de l'évolution, (attribuant ce savoir aux Indiens). Ce secret tiendrait dans la connaissance des chiffres, où serait niché le sens de la vie.
Voici ce passage:
Pour les décrypter, [NDR: les chiffres] il faut savoir que, dans le dessin du chiffre, les courbes représentent l'amour, les traits horizontaux l'attachement, les croisements les choix.
"1": c'est le stade minéral. [...]
"1" ne ressent rien. Il est là.
Il n'y a pas de courbe. Pas de trait horizontal. Pas de croisement non plus.
Donc pas d'amour, pas d'attachement, pas de choix.
Au stade minéral, on est sans pensée.
"2": c'est le stade végétal. [...]
Il y a un trait horizontal en bas.
"2" est rattaché au sol.
La fleur est fixée au sol par sa racine et ne peut donc se déplacer. Il y a une courbe dans la partie supérieure, la tige de la fleur.
"2" aime le ciel.
La fleur se fait belle, remplie de couleurs et de gravures harmonieuses afin de plaire au soleil et aux nuages.
"3": c'est le stade animal.
Avec ses courbe en haut et en bas. [...]
On dirait deux bouches ouvertes superposées. [...] "C'est la bouche qui embrasse disposée sur la bouche qui mord."
"3" ne vit que dans la dualité "j'aime-j'aime pas". Il est submergé par les émotions.
Il n'a pas de traits horizontaux, donc pas d'attachement, ni au sol ni au ciel. L'animal est perpétuellement mobile. Il vit sans la peur et dans le désir.
"3" se laisse diriger par son instinct, il est donc l'esclave permanent de ses sentiments.
"4": c'est le stade humain. [...]
"4" signifie le carrefour. Avec le symbole de la croix.
Si on s'y prend bien, le carrefour permettra de quitter le stade animal pour passer au stade suivant. Il faut cesser d'être ballotté par la peur et l'envie. Sortir du "j'aime-j'aime pas" et du "j'ai peur-je désire".
Atteindre le "5".
"5" c'est l'homme spirituel. L'homme évolué.
Il a un trait horizontal en haut qui le rattache au ciel.
Il a une courbe dirigée vers le bas.
Il aime ce qu'il y a en dessous: la Terre.
C'est le dessin inversé du 2.
Le végétal est cloué au sol. L'homme spirituel est cloué au ciel.
Le végétal aime le ciel. L'homme spirituel aime la terre.
Le prochain objectif de l'humanité sera de libérer l'homme de ses réactions émotionnelles. [...]
Et le "6"?
C'est vrai ça, et le "6"?
Eh bien c'est au hasard de la lecture d'un autre livre de Bernard Werber, tout aussi conceptuel (L'encyclopédie du savoir relatif et absolu, Ed. Albin Michel, 2000), que le 6 livre un de ses secrets :
6: c'est une courbe continue, sans angle, sans trait.
C'est l'amour total. C'est une spirale qui, grâce à sa spire (ou spiritualité), s'apprête à aller vers l'infini.
Le 6 s'est libéré du ciel et de la terre, de tout blocage supérieur ou inférieur.
C'est un pur esprit sans matière. C'est l'ange. Il est pur canal vibratoire. 6 est également la forme du fœtus en gestation.

mardi 27 juillet 2010

Hallucinations à Pomerol

Propos rapportés mot pour mot depuis l'éditorial de la revue technique "Vivre la vigne en bio" (N°81-82 Juillet-août 2010), dont l'auteur Dominique Techer est président d'Agrobio Gironde et administrateur de la FNAB. Il est suivi par une réflexion personnelle, sorte de divagation philosophique complètement assumée par votre serviteur (je n'ai pas dit esclave attention), qui vise à tenter de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Peut-être est-ce un peu long, mais si je me suis bien débrouillé ça vous fera la même chose que de regarder un chat s'étirer au soleil, c'est inutile mais ça vous nourrit.

Le mardi 8 septembre 2009 avait lieu la réunion technique de pré-vendange de l'appellation Pomerol. Exercice rituel où le syndicat convoque pour un semblant de vie collective des vignerons (et beaucoup de régisseurs) qui pour la plupart ne viennent plus que pour se voir communiquer le rendement maximal autorisé pour l'année. Difficile dans de telles dispositions d'aborder des questions essentielles.

Un premier intervenant résume rapidement l'année, sa climatologie et quelques caractéristiques analytiques du raisin. Il aurait pu aborder la question de l'élévation continue des degrés alcooliques potentiels du raisin et des problèmes que cela pose pour continuer à faire un vin de Bordeaux. Mais non, rien de tout cela, juste le service minimum.

L'intervenant suivant, un œnologue, entame alors un exposé sur la vinification. Et là, ça devient tout à fait surréaliste, sauf sans doute pour les esprits que l'œnologie moderne a déjà totalement remodelés.

L'exposé débute par la nécessité impérieuse de levurer. On entend alors une mise en garde lourde: "Ne prenez surtout pas le risque d'une fermentation sauvage!". "Sauvage" se trouve là par référence à levures "indigènes", non civilisées, non maîtrisées, non reformatées par la modernité et donc source d'une peur sourde et irrationnelle. "Sauvage" nous renvoie à l'indigène en pagne avec l'os dans le nez et la lance à la main. Brrrrr !!!

Après nous avoir fait frémir de crainte, l'œnologue nous invite à pénétrer dans le monde merveilleux de l'œnologie conquérante, où la maîtrise sur la nature est totale et où l'incertitude est traquée jusque dans les moindres recoins. Il nous conseille de sulfiter de plus en plus au fur et à mesure du remplissage de nouvelles cuves, car, voyez-vous, le chai est de plus en plus "contaminé" par les premières fermentations. Une telle peur des processus naturels évoquerait facilement une déviation névrotique si on ne percevait quelques préoccupations mercantiles. Après une telle mise en garde, on a du mal à croire que des hommes aient pu faire du vin pendant quelques dizaines de siècles sans tout cet arsenal.

Très en verve, il lance ensuite un super-concept: "le copeautage" dont il se félicite de l'autorisation et vante les puissants mérites. Bien entendu, nous avons aussi eu droit aux enzymes pectolytiques indispensables de nos jours, au tanisage aux vertus multiples, aux mannoprotéines, à la technique de la "double inoculation" (qui évoque plus un hôpital qu'une vigne ensoleillée sur le plateau de Pomerol), à l'utilisation massive de glace carbonique (et motus sur l'impact carbone) et à bien d'autres choses encore que l'on a surtout envie d'oublier. Pour un peu, les bons de commande étaient distribués dans la salle.

Suite à l'intervention d'une viticultrice sur "l'expression du terroir dans tout ça", la réponse fuse: "je vous donne les outils, vous êtes libres d'en faire ce que vous voulez!". On se pince pour se réveiller. Aurais-je déjà usé et abusé du Pomerol? Mais non, ce spectacle désolant se déroule bien réellement au sein d'une appellation prestigieuse, mais dont on se demande si elle pourra le rester bien longtemps avec une vision aussi agro-alimentaire du vin.

Qu'un syndicat, qu'un ODG puisse livre ainsi ses adhérents en pâture aux appétits d'une œnologie lancée dans une telle transe normative, témoigne bien de la déliquescence d'une certaine éthique. L'AOC, l'expression du terroir, les usages francs, loyaux et constants, "c'est de la littérature!" pour reprendre les mots d'un éminent responsable local, dont on taira le nom par charité chrétienne. On aurait préféré voir une appellation comme Pomerol trouver la force de défendre l'expression du terroir et de refuser l'aromatisation du vin. Car si sur ce terroir historique et mondialement connu, cela n'est pas défendu, alors où donc? La renommée implique des devoirs.

Cela est révélateur d'élites totalement désorientées, incapable d'une cohérence minimale, adeptes de la "pensée faible", cherchant à apposer la griffe Hermès sur du pur Tati, mais qui, pourtant, veulent absolument garder en main le gouvernail du vaisseau bordelais! Sur quels récifs finira donc ce bateau ivre?

Ainsi donc nous ne sommes pas en pleine élucubration... L'espace qui sépare la réalité de la caricature s'amenuise peu à peu. Il me vient à l'esprit l'image de l'heureux nouveau propriétaire qui met à jour quelque dégât causé par les termites dans son nouveau chez lui comme on découvre un pan entier de ce monde mystérieux du vin vu par de sinistres commerciaux déguisés en techniciens bienveillants. Sans doute les faits rapportés le sont ils dans une tonalité qui force le trait en le teintant du jugement de leur auteur, ici fortement à charge. Mais dans l'hypothèse très probable où les propos entendus à l'occasion cette visite technique de pré-vendange sont exacts, les masques tombent aisément, devant un parterre de vignerons suspendus sans défense aux lèvres des intervenants qui semblent anesthésiés par une science qui prend des allures de dogme. Je ne pense pas me tromper en reconnaissant, dans la viticultrice qui interroge le technicien autant que l'assemblée sur la question de l'expression des terroirs, Claire Laval du château Gombaude Guillot, petit îlot insignifiant dans une marée entière de vignes perfusées. Quel désarroi cela doit être pour elle, plus que pour quiconque, qui nage à contre-courant dans un environnement hostile, craignant de trébucher à chaque pas sur un croche pied tendu dans la première pénombre par un ou plusieurs individus fanatisés convaincus qu'avec ses levures indigènes, ses "mauvaises herbes" qu'elle appelle adventices, plantes indicatrices, elle mènera à leur perte toute une population qui n'a pas besoin de ça.
Se rendent-ils compte que chaque intrusion dans ce fabuleux processus viticole au nom de la Sainte Œnologie les rapproche du néant, les aspire un peu plus vers le vide? Non contents de détenir savoir (ultra-technique et pourtant si ridicule et dangereux lorsqu'il n'est pas employé avec le recul et le renoncement du sage) et pouvoir (la persuasion des prêtres colonisateurs assénant la même vérité au bout d'un crucifix comme à celui d'un fouet selon le degré de soumission de ces fameux "sauvages"), ils pratiquent l'hypnose à grands coups d'analyse de labos complaisants.

Que faut-il retenir de tout ça?

Je crois qu'avec le temps, l'homme fusionne avec les outils qu'il a créés, il devient à la fois extrêmement performant, incroyablement précis dans ses diagnostics et ses mesures. Je comprends quelle griserie maligne peut alors subrepticement s'arrimer à l'esprit. On touche la perfection, rien ne peut plus contredire l'homme qui se prend pour son outil. Le danger se situerait bien là précisément.

Considérons deux personnes devant le même tableau de maître.
Le premier, de formation technique tentera de déterminer ce dont la toile est faite, quels pigments ont servi à concocter les peintures, quel relief a été donné à l'œuvre par son auteur, trahissant l'assurance de son coup de pinceau dans l'effort artistique, allant même jusqu'à le dater plusieurs fois, des premiers coups de crayons jusqu'à l'ultime trait de gouache de sa signature. Fort de ses aptitudes excellentes héritées de sa formation, de l'impossibilité pour quiconque de contredire les résultats de son analyse, gonflé de compétence, il fournira avec force détails jusqu'à l'ADN du chef d'œuvre. Et conclura, un peu déçu au fond de lui-même, à son retour de l'infiniment petit, avoir percé le mystère artistique.
Le second n'a pas le solide bagage du premier, il a néanmoins exercé maintes fois son acuité en cherchant l'idée qui a présidé à l'ensemble, son principe créateur. Prenant du recul, il tente de saisir le sens de l'œuvre, ne s'intéressant à ses détails qu'à la toute fin de son examen qui sera tout aussi scrupuleux que celui de son voisin. Il établit des postulats, élabore des hypothèses, échafaude des plans, usant lui aussi de méthode, mais acquise de manière empirique. Il pourra être saisi d'exaltation sans vraiment en comprendre les raisons, cette dernière le poussera davantage à faire durer son examen, il se surprendra à contempler, il devinera, en lisière de sa conscience, des choses impossibles à attribuer à autre chose que l'intuition pure. Se trouvera un peu ridicule aussi, subitement bousculé par l'harmonie créée par un autre qu'il ne connaît pas. Ou si, un peu finalement, justement. De l'observation de cette réalisation graphique, il entrera dans les circonvolutions de l'identité même de son auteur, devinant son état d'esprit au moment de l'acte. Il tentera de se rappeler son contexte historique, social, géographique.

Les deux hommes se font face, échangent bruyamment, les bras font des moulinets pour illustrer l'océan d'incompréhension qui les sépare. Pourtant, une même réalité les avait unis peu auparavant. L'un des deux avait pris les limites de la raison pour destination finale, incarnées par la sensibilité de ses outils de mesure ultra-perfectionnés. Pour être serein, il a besoin de poser des jalons.

L'autre avait considéré le tableau comme point de départ vers le simple plaisir de contempler, sans jamais lui imposer la moindre limite. En somme, il aura fait confiance, et franchi sans même s'en rendre compte les garde-fou posés avec précaution par son voisin. Loin d'en savoir autant sur les détails, il s'est élevé très haut pour tenter de saisir le concept, la perspective, la véritable "raison d'exister" de l'œuvre, ce qui a poussé son géniteur à tenter de la rendre parfaite et peut-être à y fixer un message.


Pour moi, et même si je suis bien conscient qu'un tel manichéisme est forcément simpliste face à l'incroyable complexité du monde, cette dualité illustre les deux faces de l'humanité, contradictoires et pourtant incomplètes l'une sans l'autre. D'un individu à un autre, les proportions variant à l'infini, on se retrouve face à l'insondable. Ce vide attise les passions autant qu'il réveille les peurs primales, selon qu'on dispose de la confiance, ou non. Ces peurs sont les boulets de plomb qui nous tiennent les pieds au sol, elles sont reptiliennes, héritées d'une époque où les besoins vitaux de l'espèce étaient ses seules préoccupations. Ce sont les "sécurités implicites" de notre existence. Le même bonhomme peut dans la même journée regretter que sa ceinture lui serre la taille après le repas et se sentir rassuré de dissimuler efficacement à autrui la couleur de son caleçon.

Bien sûr, je me sens plus éloigné du technicien que de l'amateur. Sans doute parce que je ne dispose pas de la technique, ou peut-être à cause d'un esprit de contradiction, je cherche à avoir de la contenance en devenant philosophe. Seulement je suis arrivé à l'intime conviction que ça n'est pas seulement en posant un microscope quelque part qu'on saisit le mystère de la vie. J'ai deviné quelque chose. L'œil synthétique et froid du microscope ne sera jamais doué d'émotion, voilà tout. Le fondamental lui échappera toujours. Le prisme de l'outil sera toujours juste assez opaque pour séparer l'approximation de la vérité. L'outil est là précisément pour enseigner, il ne doit pas avoir d'autre vocation. Lui attribuer d'autres vertus revient à lui donner le pouvoir de juger. De juger à notre place.
Ce qui se passe aujourd'hui, c'est ce fameux et redoutable amalgame qui laisse l'outil juger et l'homme simplement mesurer.
Et au final, personne ne comprend.

dimanche 25 juillet 2010

Le voyageur imprudent

"D'une détente, Saint-Menoux quitta le sous-sol, monta jusqu'au faîte d'une maison bourgeoise, vit au passage une femme mûre compter ses cuillères et se coucher entre deux jambons. Son mari quittait sur la pointe des pieds la chambre voisine, montait retrouver la soubrette en bigoudis, la payait d'une tranche de veau froid. Le voyageur poursuivit sa promenade. Il glissait dans l'espace, parfois les pieds en l'air, ou le ventre à l'horizontale, pelotonné comme un flocon, ou étendu à la façon d'un oiseau planeur. Il entrait la tête la première dans les chambres fermées à triple tour, découvrait les hommes au moment où ils abandonnent leurs attitudes et se montrent tels qu'ils sont.Les hommes et les femmes seuls, et les ménages qui depuis des années ne se cachent plus rien, se déshabillaient devant l'invisible témoin. [...] Il vit le linge gris quitter les peaux grises, dénuder des cuisses maigres, tordues, des ventres gonflés où l'ombilic pointait. Des plaques noires marbraient les pieds. Des seins énormes flottaient comme chiens en Seine, d'autres, plats, rampaient jusqu'au sol. Des orteils aux ongles en vis s'emmêlaient sous les lits, des bras osseux se dépliaient, se repliaient, menaçaient les murs de leurs coudes, des chevelures verdâtres étalaient sur les oreillers leurs pseudopodes visqueux, des mains pendantes grattaient des forêts de poils, touchaient des sexes flétris. Avant de se coucher, l'épicière, dans son arrière-boutique, allongeait son vin, enlevait à chaque ration de café deux grains gros comme des pains, trois briques de sucre à chaque kilo.
Pierre alla jusqu'à l'autre bout de la ville. Il jaillissait d'un mur à l'autre, traversait les rues sans lune, se laissait emporter par son élan à travers les pièces éclairées et les pièces obscures. Dans les appartements à tapis de laine et rideaux de soie, il vit des spectres en déshabillés de satin quitter leur beauté devant la glace, se coucher avec des ventres en plis et des boues sur le visage. Dans les grandes casernes de brique où s'entassent les pauvres, les mères de famille harassées comptaient les pommes de terre, et coupaient en feuilles transparentes le pain du lendemain.
Chez les bourgeois et chez les misérables, il retrouvait la même immense fatigue. Hommes et femmes, du même geste las, éteignaient la dernière lampe, et s'étalaient dans la nuit.
La résignation au gagne-pain, à la richesse, à la misère, aux jours perdus, au temps trop court, aux espoirs vagues, aux femmes, aux maris, aux patrons, aux plaisirs, à la peine, écrasait de son poids ces millions de corps allongés, qui ronflaient, grinçaient, gémissaient, se recroquevillaient, se détendaient, en poses grotesques, sans parvenir à trouver, pour une seconde, la paix. [...]
Il découvrait l'humanité. Il se passionnait à son voyage, se penchait sur les hommes, ses frères. Il trouvait parfois, dans la crasse d'un taudis, dans la luxueuse froideur d'un berceau de riche, le visage paisible d'un enfant. Il s'attardait sur ce miracle, se demandait comment une si belle promesse pouvait pareillement faillir." René Barjavel (dans "Le voyageur imprudent", 1944)

mardi 8 juin 2010

Le docteur du Vin vous parle!




Alors là, si même les médecins deviennent subversifs...

Jolie vidéo que voilà en effet, où l'on peut voir un professionnel de la santé, docteur diplomé en médecine générale, expliquer comment l'on peut conjuguer raisonnablement conduite automobile et consommation de vin.
Le docteur Jacques Fridman, auteur de livres-méthodes pour maigrir et qui exerce à Paris intra muros, a donc jugé utile de s'exprimer ici pour nous donner quelques conseils à observer lors de ces repas conviviaux chers à nos coeurs.

Seulement voilà, certaines choses m'interpellent.

La première a trait à une pratique empirique de mon métier de caviste : la dégustation. Si je devais croire ce qui est ici décrit, je finirais tous les salons professionnels que je fréquente (et il y en a beaucoup) à exécuter une disgracieuse tentative de semi-poirier au-dessus d'un bloc de faïence manufacturée et tout cela au beau milieu d'une pièce reconnaissable à son entrée pour le logo stylisé gents only fixé sur la porte...
Car dans les plus copieux de ces grands raouts commerciaux, il est fréquent de déguster plus de 200 vins en une seule journée. Si donc la langue devait capter une proportion d'alcool aussi conséquente qu'il est dit dans cette vidéo, je vous laisse imaginer les effets...
Certains vins ont, il est vrai, des qualités qu'on ne peut juger qu'en attendant patiemment le lendemain, mais de là à en faire un argument de vente il y a un pas titubant que je ne ferai pas aujourd'hui.
Si elle vaut pour le sucre, cette assertion semble en revanche infondée pour l'alcool.

La seconde raison relève davantage de ce qui relie entre eux tous les jouisseurs-gastronomes : le plaisir.
Or ce plaisir on le trouve aussi dans le "sillage" du vin, c'est ainsi qu'on terminera de juger de sa verticalité, de sa persistance aromatique, de son intensité. Dans ces quelques secondes flottantes, s'édifie à grande vitesse le souvenir qu'il vous laissera. Ou pas.
Quelle drôle d'idée que celle visant à se passer d'une telle cruciale étape dans l'appréciation d'un grand jus en se précipitant sur un verre d'eau?
Avouez que c'est plutôt saugrenu, et certainement pas un point de vue qui recrutera parmi les amoureux de la bonne chère de quoi gonfler les rangs du fan-club d'Hippocrate!

La troisième raison enfin m'effraie particulièrement, dans un contexte où le dernier spot de la Sécurité Routière fait le tour des réseaux sociaux à la vitesse d'un perroquet dans un gosier de turfiste un dimanche matin à l'heure de l'apéritif. Car celui qui parle est tout de même un médecin.

Et visionné précisément aujourd'hui, son témoignage ne manquera pas de laisser tétanisé au pire et perplexe au mieux celui qui tombera dessus...

vendredi 30 avril 2010

Vous avez demandé la Lune? Ne quittez pas...


"Impose ta chance, serre ton bonheur, et va vers ton risque. A te regarder vivre, ils s'épuiseront." René Char

Je me dépêche, la journée tire à sa fin, le vin dont il est question dans cette édition re-née des Vendredis du Vin consacrée aux demi-secs je l'ai bu il y a longtemps, mais je n'ai guère besoin de faire un effort pour m'en souvenir tant il a marqué mon esprit. Indélébile. La Lune 2006 par Mark Angéli.
Pas de description possible d'un tel flacon, objective j'entends.
J'ai été satellisé.
Les amis qui m'accompagnaient, Stéphanie, Jean-François, Sandrine, aussi.
Dans l'ambiance et le rythme plutôt enlevé d'un dimanche matin où je me mis à faire la cuisine (rare). J'avais presque fini, l'apéro s'imposait, et tous nous avons été cueillis, fauchés (voilà un terme qui ferait sans doute sourire le vigneron, et qui répondra aux interrogations d'Iris!). Là où le vacarme heureux des gens qui plaisantent laisse place à un long silence introspectif, on s'est tous demandé ce qui nous arrivait.
C'est un des rares et précieux moments qui m'a prouvé à quel point le Vin avait le pouvoir de te faire regarder les mêmes choses sous un autre angle, inédit et plein de promesses.
Ce jour-là j'ai trouvé le Vin des Philosophes.
D'ailleurs, je crois que c'est depuis ce jour-là que j'ai ajouté l'adjectif orpailleur sur mes cartes de visite (jusque même mon blog), car maintenant je sais reconnaître ce que je cherche.

vendredi 12 mars 2010

Coup de gueule sur la finance

"La première condition de ma survie, c'est d'assurer celle du monde qui me porte." René Passet

J'imagine que, comme d'habitude, l'émission Envoyé Spécial de France2 jeudi dernier a réuni bon nombre de spectateurs. Le second reportage traitait du sujet fort démagogique des attaques de tigres de plus en plus fréquentes en forêt de Sumatra (le levier de la peur primale, malgré notre confort d'homo sapiens, semble toujours très bien fonctionner), avec en toile de fond la déforestation, la corruption généralisée qui l'autorise, et la grande distribution qui l'encourage. Première chaîne de supermarchés dans ce pays, Carrefour est aussi un excellent client des sociétés d'exploitation forestière locales en leur achetant leurs produits dérivés du papier tels que ramettes, mouchoir, emballages. Mais en disant cela, je ne fais que paraphraser bêtement le contenu dudit reportage, quel intérêt?
A vrai dire, là où je veux en venir, c'est au cynisme de la situation du monde occidental. Dans mon métier je milite, et il est donc facile d'en conclure qu'une certaine part de ma clientèle milite elle aussi, ou tout au moins aquièsce gravement lorsque je fais l'inventaire malheureux bien que non exhaustif des désastres en marche.
Le contexte économique se dégradant de manière inquiétante, notre petit confort de "culs blancs" s'amenuise, et sous le matelas qui fatigue l'on sent de plus en plus les lattes du sommier nous torturer les vertèbres. Rarement dans ces moments-là avons-nous alors la pertinence et la présence d'esprit de nous réjouir d'être en possession d'un sommier...
Il est devenu fortement recommandé de s'insurger vigoureusement contre ces injustices tropicales, et il est même considéré comme vertueux de reporter l'achat d'un nouveau matelas pour signer des pétitions en ligne. En plus c'est gratuit, et ça soulage, on a l'impression de s'acquitter de cette vieille dette de solidarité datant de la fin des colonies.
Pour avoir travaillé quelques temps dans un établissement financier et en avoir appréhendé quelques-uns des rouages (et par-là même participé au système à l'origine de la crise), j'assume douloureusement mon ignorance et ma candeur d'alors. Désormais, lorsque j'entends conspuer pêle-mêle les labos pharmaceutiques, les banques, les fonds de pension, les fournisseurs d'énergie nucléaire et de produits pétroliers, les fabricants de jouets qui sous-traitent en Asie, bref toutes les bêtes noires du moment, je me dis que ce sombre scénario est brillamment orchestré et que celui qui tient la baguette ne peut être qu'une engeance de Machiavel...
Car chers tous voyez-vous, c'est avec votre petite épargne (quand bien même serait-elle grosse d'ailleurs que ça ne changerait rien) que l'oligarchie désormais bien en place peut se permettre de tels réajustements. Ce sont vos deniers de gens honnêtes (voyez que je suis sans doûte resté candide) qui servent de socle pour élever les édifices les plus affreux. L'épargne, en temps de crise, est un frein à la consommation, et c'est la raison pour laquelle la Banque Centrale Européenne a tenté de la limiter en réduisant le taux de rémunération du livret A dernièrement, à plusieurs reprises, comme un électro-choc aux bas de laine. Seulement, climat fortement anxyogène oblige, par ailleurs très bien entretenu par les médias "contrôlés", le petit épargnant résiste, ne disparaît pas, il va simplement s'orienter vers l'épargne dite dérèglementée, c'est-à-dire les autres produits de placement proposés par les banques. OPCVM, Sicav monétaires, PEA, compte-titres, et en premier lieu le béni des français : l'assurance-vie. Ce faisant, il met à la disposition d'intérêts financiers qu'il n'identifie pas les quelques billets qu'il parvient à mettre à gauche de temps à autre, avec pour mot d'ordre "fructifie vite et bien". Bien assis dans ses compétences, le banquier (qui souvent ne comprend pas la cruauté du processus, esprit d'omission? Il faut bien travailler!), s'attache à faire profiter à son client du rendement maximum disponible sur le marché à l'heure H où la somme y est injectée. L'argent transite alors par les vaisseaux capilaires, gagne les veines puis les artères avant de se retrouver entre les mains des sacro-saints traders tant décriés. On a depuis septembre 2009 beaucoup décrit cette profession, dépeinte sous un angle peu flatteur. Relégués au rang de psychopathes lépreux, les plus performants n'en sont pas moins devenus les ouvriers de la reconstruction! S'appuyant sur ces innombrables réserves accumulées par les gens craignant pour leur avenir proche, ils ont dopé les marchés d'un nouvel afflux sanguin, profitant que l'effondrement récent avait fait place nette parmi les acteurs financiers "globaux". Ceci explique clairement la multiplication des fanfaronnades qui ont suivi, à grands renforts de bilans reverdis et de promesses de bons comportements futurs. Mais penchons-nous sur les mécanismes qui ont permis ces "bons" résultats. La voie de la dérégulation s'appliquant aussi aux choses concrètes, ce sont bien dans les quelques eldorados qui subsistent sur cette petite planète qu'il a fallu investir. Ces endroits où l'argent est plus fort que la loi, où l'on achète le droit. La loi n'étant pas faite pour les chiens, l'action de la contourner est potentiellement dangereuse. Emplois sous payés d'une main d'oeuvre facile à avilir, désastres écologiques, main basse sur les "bien communs" (OGM en première ligne), déséquilibres sociaux profonds (décentralisations), autant de causes et de conséquences mélangées, financées par l'épargne de ceux qui ont peur.
Si d'aventure ces quelques explications ont pu vous éclairer, précipitez-vous chez votre banquier et demandez-lui la liste des entreprises dont vous détenez des actions, selon les placements que vous avez réalisés par son intermédiaire. Il sera bien en peine, d'abord de vous la fournir (ce ne sera qu'une "photo" de votre portefeuille au moment de l'interrogation), ensuite de vous aider à en "bannir" celles dont vous ne voulez plus cautionner les agissements. Vous y trouverez peut-être Areva, Monsanto, Bayer Crop Science, KWP (le papetier du reportage), Mattel (fabricant de jouets ET premier employeur d'enfants dans le monde), Total...
La déontologie n'est plus de mise dans cette profession, mais n'allez pas, comme on l'a vu plusieurs fois après l'embrasement du foyer, faire justice au monde en menaçant votre conseiller. Lui n'est qu'un des rouages formatés de la vaste supercherie, il en est même pourquoi pas la victime lui aussi!
VOUS SEUL pouvez REPRENDRE LE CONTRÔLE de ce qui est fait avec VOTRE ARGENT.