vendredi 12 mars 2010

Coup de gueule sur la finance

"La première condition de ma survie, c'est d'assurer celle du monde qui me porte." René Passet

J'imagine que, comme d'habitude, l'émission Envoyé Spécial de France2 jeudi dernier a réuni bon nombre de spectateurs. Le second reportage traitait du sujet fort démagogique des attaques de tigres de plus en plus fréquentes en forêt de Sumatra (le levier de la peur primale, malgré notre confort d'homo sapiens, semble toujours très bien fonctionner), avec en toile de fond la déforestation, la corruption généralisée qui l'autorise, et la grande distribution qui l'encourage. Première chaîne de supermarchés dans ce pays, Carrefour est aussi un excellent client des sociétés d'exploitation forestière locales en leur achetant leurs produits dérivés du papier tels que ramettes, mouchoir, emballages. Mais en disant cela, je ne fais que paraphraser bêtement le contenu dudit reportage, quel intérêt?
A vrai dire, là où je veux en venir, c'est au cynisme de la situation du monde occidental. Dans mon métier je milite, et il est donc facile d'en conclure qu'une certaine part de ma clientèle milite elle aussi, ou tout au moins aquièsce gravement lorsque je fais l'inventaire malheureux bien que non exhaustif des désastres en marche.
Le contexte économique se dégradant de manière inquiétante, notre petit confort de "culs blancs" s'amenuise, et sous le matelas qui fatigue l'on sent de plus en plus les lattes du sommier nous torturer les vertèbres. Rarement dans ces moments-là avons-nous alors la pertinence et la présence d'esprit de nous réjouir d'être en possession d'un sommier...
Il est devenu fortement recommandé de s'insurger vigoureusement contre ces injustices tropicales, et il est même considéré comme vertueux de reporter l'achat d'un nouveau matelas pour signer des pétitions en ligne. En plus c'est gratuit, et ça soulage, on a l'impression de s'acquitter de cette vieille dette de solidarité datant de la fin des colonies.
Pour avoir travaillé quelques temps dans un établissement financier et en avoir appréhendé quelques-uns des rouages (et par-là même participé au système à l'origine de la crise), j'assume douloureusement mon ignorance et ma candeur d'alors. Désormais, lorsque j'entends conspuer pêle-mêle les labos pharmaceutiques, les banques, les fonds de pension, les fournisseurs d'énergie nucléaire et de produits pétroliers, les fabricants de jouets qui sous-traitent en Asie, bref toutes les bêtes noires du moment, je me dis que ce sombre scénario est brillamment orchestré et que celui qui tient la baguette ne peut être qu'une engeance de Machiavel...
Car chers tous voyez-vous, c'est avec votre petite épargne (quand bien même serait-elle grosse d'ailleurs que ça ne changerait rien) que l'oligarchie désormais bien en place peut se permettre de tels réajustements. Ce sont vos deniers de gens honnêtes (voyez que je suis sans doûte resté candide) qui servent de socle pour élever les édifices les plus affreux. L'épargne, en temps de crise, est un frein à la consommation, et c'est la raison pour laquelle la Banque Centrale Européenne a tenté de la limiter en réduisant le taux de rémunération du livret A dernièrement, à plusieurs reprises, comme un électro-choc aux bas de laine. Seulement, climat fortement anxyogène oblige, par ailleurs très bien entretenu par les médias "contrôlés", le petit épargnant résiste, ne disparaît pas, il va simplement s'orienter vers l'épargne dite dérèglementée, c'est-à-dire les autres produits de placement proposés par les banques. OPCVM, Sicav monétaires, PEA, compte-titres, et en premier lieu le béni des français : l'assurance-vie. Ce faisant, il met à la disposition d'intérêts financiers qu'il n'identifie pas les quelques billets qu'il parvient à mettre à gauche de temps à autre, avec pour mot d'ordre "fructifie vite et bien". Bien assis dans ses compétences, le banquier (qui souvent ne comprend pas la cruauté du processus, esprit d'omission? Il faut bien travailler!), s'attache à faire profiter à son client du rendement maximum disponible sur le marché à l'heure H où la somme y est injectée. L'argent transite alors par les vaisseaux capilaires, gagne les veines puis les artères avant de se retrouver entre les mains des sacro-saints traders tant décriés. On a depuis septembre 2009 beaucoup décrit cette profession, dépeinte sous un angle peu flatteur. Relégués au rang de psychopathes lépreux, les plus performants n'en sont pas moins devenus les ouvriers de la reconstruction! S'appuyant sur ces innombrables réserves accumulées par les gens craignant pour leur avenir proche, ils ont dopé les marchés d'un nouvel afflux sanguin, profitant que l'effondrement récent avait fait place nette parmi les acteurs financiers "globaux". Ceci explique clairement la multiplication des fanfaronnades qui ont suivi, à grands renforts de bilans reverdis et de promesses de bons comportements futurs. Mais penchons-nous sur les mécanismes qui ont permis ces "bons" résultats. La voie de la dérégulation s'appliquant aussi aux choses concrètes, ce sont bien dans les quelques eldorados qui subsistent sur cette petite planète qu'il a fallu investir. Ces endroits où l'argent est plus fort que la loi, où l'on achète le droit. La loi n'étant pas faite pour les chiens, l'action de la contourner est potentiellement dangereuse. Emplois sous payés d'une main d'oeuvre facile à avilir, désastres écologiques, main basse sur les "bien communs" (OGM en première ligne), déséquilibres sociaux profonds (décentralisations), autant de causes et de conséquences mélangées, financées par l'épargne de ceux qui ont peur.
Si d'aventure ces quelques explications ont pu vous éclairer, précipitez-vous chez votre banquier et demandez-lui la liste des entreprises dont vous détenez des actions, selon les placements que vous avez réalisés par son intermédiaire. Il sera bien en peine, d'abord de vous la fournir (ce ne sera qu'une "photo" de votre portefeuille au moment de l'interrogation), ensuite de vous aider à en "bannir" celles dont vous ne voulez plus cautionner les agissements. Vous y trouverez peut-être Areva, Monsanto, Bayer Crop Science, KWP (le papetier du reportage), Mattel (fabricant de jouets ET premier employeur d'enfants dans le monde), Total...
La déontologie n'est plus de mise dans cette profession, mais n'allez pas, comme on l'a vu plusieurs fois après l'embrasement du foyer, faire justice au monde en menaçant votre conseiller. Lui n'est qu'un des rouages formatés de la vaste supercherie, il en est même pourquoi pas la victime lui aussi!
VOUS SEUL pouvez REPRENDRE LE CONTRÔLE de ce qui est fait avec VOTRE ARGENT.