jeudi 4 janvier 2018

Cet endroit est une ZONE FRANCHE

Cet article fait suite, après un très long silence, à un réflexion arrivée à maturité : je ne suis plus caviste mais écrire sur le vin demeure une préoccupation majeure. 
Depuis la fermeture de la boutique en juin 2014, j'ai gardé un lien ténu avec la plume, mais rien de visible pour vous pour l'instant. En parcourant avec nostalgie les arcanes de ce blog, j'ai découvert ce billet dont j'ignore les raisons pour lesquelles il est resté dans son emballage, et j'ai décidé malgré son anachronisme et sa péremption de l'éditer tel quel sans un modifier un seul signe. 
Je travaille sur un blog culinaire dans lequel je publierai prochainement mes recettes favorites. 
J'ignore encore si je conserverai ce support ou non, nous verrons bien!
En attendant, bonne lecture.
 
Il y a quelques jours, je reçois un message mystérieux de la part d'une personne anonyme qui m'indique avoir été interpellée par ce blog, et par son contenu. On peut y lire "j'aimerais entrer en contact avec vous pour vous proposer une collaboration qui devrait vous intéresser et qui porterait sur les sujets dont vous parler sur votre blog" (N.B. j'ai pris le soin de conserver la faute d'orthographe).
Il s'agit d'une certaine Sophie, d'une société parisienne répondant au curieux nom de Win-Win (sic!).
Après une brève recherche, je découvre qu'il s'agit d'une agence de com. Donc rien à voir avec un quelconque nouvel ami de monsieur Culbuto (ceux qui ont des enfants en bas-âges comprendront sans doute plus vite).
Comme vous l'avez remarqué, je ne parle finalement que très peu de vin ici (sans d'ailleurs que je me l'explique vraiment, il faudra creuser tout ça plus tard).
Arrivent un second, puis un troisième échange durant lequel elle évoque un domaine viticole du Rhône, travaillant en bio, produisant un vin qu'elle décrit comme "assez particulier en son genre", plusieurs fois primé et dont la qualité est "reconnue par de nombreux professionnels"...

Soit, je prends note, et je demande à en savoir encore davantage, à moitié hameçonné mais aussi gagné par un début d'agacement. L'ayant sans doute vaguement perçu, et parce que je lui fais part de mon étonnement, elle finit par lâcher le morceau et me révéler la nature du marché qu'elle souhaite conclure avec moi:
Je reçois de leur part un échantillon de ce fameux vin, dont je m'engage à commenter la dégustation ici même, en citant tel et tel et tel mot-clé (trois au minimum) et en leur rattachant un lien vers la boutique en ligne du domaine.

Et puis quoi? Et si le vin ne me plaît pas?
Et d'ailleurs, même s'il me plaît?
Autant vous le dire tout-de-go, ici on ne joue pas du Feydeau, le fil à la patte trop peu pour moi.
Ici, mesdames, mesdemoiselles et messieurs, c'est mon espace de liberté, et j'y fais ce que je veux, à la manière qui me semble la meilleure, dans le plus parfait égoïsme.
Ceci n'est pas un "blog sandwich", vous n'y verrez jamais une bannière de publicité, pas même pour la promotion de ma petite entreprise.
Par conséquent, ce n'est pas demain la veille que j'organiserai chez moi ce genre de réunion tupperware.
J'avais lu il y a quelques semaines divers papiers relatant cette nouvelle tendance de la part des agences de communication visant à associer des bloggers à la promotion de certains produits.
Car le blog est devenu semble t-il un vecteur marketing très efficace, il permet de mettre en avant l'air de rien des produits de marques avides de reconnaissance de la part du public.
Un public de consommateurs bien entendu. Bien dressé.
Du genre qui consomme pour être heureux et se donner l'illusion qu'il a la main sur son existence en choisissant telle marque plutôt qu'une autre. Du genre qui s'affirme dans ses choix, si personnels, faits devant les linéaires bombardés de photons d'un grand magasin. Franchisé, formaté, standard. Avec des vendeurs tous habillés pareil, chanceux qu'ils sont lorsque leur livrée imposée n'est pas ridicule, genre rouge et verte par exemple, si vous voyez vers qui mon regard se tourne...
Visiblement donc, place doit être faite à la corruption molle, sinueuse et sournoise.
Alors qu'on se le dise, ici c'est une caverne indépendante.
Dans le vraie vie je ne porte pas de tee-shirts nike, de casquette reebok, de porte-clés renault. Je refuserai donc toujours de servir de support pour la promotion d'une marque. Point final.

Tout bu or not tout bu?


C'est vrai quoi.
Les "foires aux vins" font leur come back retentissant chez les dealers de papier toilette et autres cacahuètes (ogm), petits pois en boîte, dentifrices et chewing gums Hollywood, auprès d'une clientèle dit-on toujours plus nombreuse. Comme dit l'autre, dans "foire aux vins", il y a "foire".
La presse généraliste se gargarise bien sûr copieusement de la vertigineuse liste de ces crus en-foirés (tandis que je ne vous parle même pas de la communauté délabrée des "journalistes du vin", toujours aussi... comment dire... euh... bref, non rien).

Alleluia.

J'imagine que vous (oui, vous là) vous êtes demandé une nouvelle fois quels magnifiques trésors recelaient les nombreux catalogues si gentiment déposés dans votre boîte aux lettres par un jeune retraité (qui soit dit en passant ferait bien volontiers autre chose que ça pour arrondir ses fins de mois), hein?
Évidemment, des prix comme ça, y a qu'la "grande" distribution pour pouvoir se l'permettre.
La "puissance de feu". Forcément...

C'est drôle comme les mondes sont si bien cloisonnés de nos jours. J'ai même vu pas plus tard qu'hier un de mes confrères s'étonner du néant total des rayons livres consacrés au vin nature... à la Fnac.
L'heure est aujourd'hui à la compartimentation (bien étanche surtout hein), et les causes des uns, même si elles sont transposables et universelles, ne sont pas celles des autres.

Et bien moi je vous dis le fond de ma pensée: j'en ai plein de le dos et les bottes, marre. soupé, ma claque et ma dose, par dessus la tête, ras la casquette, le bol et le pompon.

Ça va presque faire 7 ans (didiou, 7 ans!!!) que je fais ce métier.

Commerçant de proximité souvent, caviste aussi pointu que possible de temps à autres, au service tout entier de ma clientèle, corps et âme.
À faire la promotion en premier lieu de la clairvoyance, du libre arbitre et de l'esprit critique. Persuasif parce que persuadé, mais toujours enclin à ne pas méprendre mes visiteurs: quand je n'ai pas ce qu'ils veulent je ne cherche pas à refourguer mordicus ce que j'ai en stock à la place!

Pourtant je le reconnais aujourd'hui, passez-moi l'expression mais j'ai l'impression d'avoir allègrement pissé dans un violon. Cette démarche ne paierait pas, ou plutôt ne paierait plus et plus assez.
Le prix. Oui, le prix. Choix cornélien pour ceux qui ne se sont pas encore décidés entre moi et intermarché, super u et consorts (c'est fait exprès si je n'ai mis aucune majuscule).
Je n'ai pas été assez bon.
Pourtant, il faut l'être, pour proposer des vins de France (ex-vins de table) au même prix (et régulièrement bien plus cher) que des vins d'appellation. Seulement voilà, je n'y peux rien moi. Il se trouve qu'en cherchant bien, c'est un constat sans appel: la typicité qui a donné naissance aux systèmes des appellations, on la retrouve désormais chez les vignerons à la marge.
Et c'est une tendance qui s'amplifie. "Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit, une forêt qui germe ne s'entend pas.", c'est même Gandhi qui l'a dit.
Seulement voilà, la clientèle française, supposée être l'une des plus érudite en la matière, boude le sujet.
Beaucoup de vignerons avec lesquels je discute me confessent la mort dans l'âme que leur salut se trouve à l'étranger. 80% de leurs vins exportés, et il ne s'agit pas de cas isolés.
Constat d'échec pour une grande partie de la filière. La "crise" a t-elle le dos assez large pour cette énième calamité?

Clairvoyance, libre arbitre, esprit critique.

Mais revenons à nos chers bourreaux, qui assènent jour et nuit, inlassablement et dans un marketing effilé comme une lame nippone leurs incitations à consommer. Radio (dernier spot en date perpétré par un célèbre assureur: prémunissez votre enfant contre le racket à l'école!), TV (je suis sevré depuis 4 ans), quatre par trois le long des routes (on en trouve même qui clignotent... à quand les statistiques des mêmes assureurs cités plus haut sur l'attention des conducteurs ainsi détournée?), presse papier, gratuite ou non. Le pire c'est je crois une certaine presse féminine. Une page sur deux.
Et il faut payer pour ça. Sans rire?

Becket a déclaré: "À force d'appeler ça ma vie, je vais finir par y croire. C'est ça, la publicité."

Nous y sommes. Conditionnement, quand tu nous tiens.

Anesthésie générale? Mort clinique du cerveau? Coma collectif?

Contrairement à ce que vous pourriez penser, je ne cracherai pas sur les grandes surfaces, j'y vais régulièrement. Beaucoup plus que je ne le voudrais d'ailleurs. Mais ça c'est un autre sujet, celui de l'argent. Je ne suis pas le seul à manquer, pas le seul que ça frustre.
Plus rares sont peut-être ceux que ça met dans une colère sourde, je vois trop d'échines courbes.
On y trouve de tout. Et aussi, régulièrement, n'importe quoi.
Surtout quand ces messieurs s'improvisent spécialistes. Là, c'est grave.
C'est valable surtout pour les produits nobles, et ça commence d'abord avec le vin.
Des quantités de bouteilles, dont le volume par exploitation doit être suffisamment grand pour pouvoir alimenter au mieux tout le pays d'un jus sans âme, aseptisé, figé comme une momie et pâle reflet de ce qu'il aurait pu être si...
Des prix tirés vers le bas à coups de techniques d'acheteur (il y a même des écoles pour les former, c'est un vrai métier).
Des vignerons qui n'ont d'autre ambition que de jouer la carte du discount pour conserver leurs marchés et leurs "économies d'échelle". Même si ça doit passer par une conduite industrielle du domaine. Des vignes au pas de charge, nourries aux sels (ça leur donne soif), désherbées total (pour éliminer la concurrence de ces satanées "mauvaises herbes" qui elles aussi boivent de l'eau), désinfectées (surtout ne pas laisser faire la nature malheureux!), plastifiées en quelque sorte, qu'on arrache à la trentaine passée parce qu'elles sont épuisées, empoisonnées.

Hé oui, même chez les vignes il y a du turn-over.

Pure "taxidermie viticole" moi je dis.

La même qui pollue les nappes (à ce sujet renseignez-vous donc sur l'exode rural - j'exagère à peine - qui a lieu en ce moment-même en Beauce, surtout dans l'Eure-et-Loire, du fait des pratiques délétères des céréaliers sans foi ni loi qui aspergent sans distinction blés, colzas, passants, voisins, chats de gouttière, musaraignes, gendarmes à six pattes. Points d'eau condamnés, recrudescence de pathologies parfois étranges et souvent infantiles, tranquillité en berne pour les nouveaux venus, souvent des citadins en fuite fatigués de l'air vicié des villes. Las!

La même qui zigouille les haies, les arbres, bref tous les obstacles au tracteur, pourtant si précieux pour abriter les prédateurs de ces "parasites" de la vigne qu'il faudra donc "combattre" chimiquement. Brrr.

La même qui rend les vignerons malades jusqu'à les faire doucement, lentement crever.
Honteuse ou non, cette mort a été provoquée par des produits conçus pour tuer sans réelle distinction. Dommages collatéraux. Même si les procès se multiplient, qu'importe s'ils sont gagnés par les malades, ça na fera jamais grand bruit.

Il y a des vignerons, encore rares malheureusement, qui vous parleront d'adventices plutôt que de mauvaises herbes, qui connaissent presque chaque pied de leurs parcelles personnellement, intimement, qui sont conscients de l'importance capitale de leur diversité, de l'impact considérable de leurs pratiques, qui ne voient aucune limite nette autour d'eux mais au contraire des milliards d'interactions biologiques à en donner le vertige le temps d'un clignement de l’œil.

Une autre question me vient (tant que j'y suis, je profite de votre "temps de cerveau disponible"):
Que pensez-vous de cette révélation toute chaude qui dit que les produits bio ne seraient pas meilleurs pour la santé? (vous avez certainement entendu ça à la radio ces derniers jours)

La bonne blague. Je suis plié.

On compartimente je vous dis, voilà. Tant que ça ne s'introduit pas dans un quelconque orifice de votre anatomie délicate, votre santé n'est pas concernée.
Bien sûr que non. Et votre portefeuille non plus ça se saurait pensez-vous.

La paranoïa me guette. J'entends déjà les chuchotements des conspirateurs. Organiser la crise, voilà le secret. Ces moments sont toujours propices aux manœuvres des plus forts pour resserrer leur étreintes sur les plus faibles. Naomi Klein a dressé un portrait très précis des techniques employées.

Pour rester dans la citation, et aussi revenir au sujet de départ de ce billet, je me réjouis de la grande spontanéité autant que de l'esprit de synthèse d'un autre de mes confrères qui déclarait sur internet: "Merci à tous les grands pros du vin pour conseiller avec une très grande objectivité les vins des Foires 
aux Vins de nos fières enseignes, grands spécialistes comme chacun sait de la qualité sans concession.
Merci à eux de guider, donner des notes, conseiller, mettre en garde .... et ne pensez surtout pas au gré d'un de leurs articles qu'ils puissent être d'une quelconque connivence avec qui que ce soit, vous auriez vraiment l'esprit mal placé."
Tu sais quoi Marco? Tu m'enlèves littéralement les mots de la bouche.