À 5h, le 15 août dernier, à l'Institut National de Recherche Agronomique de Colmar, 70 faucheurs volontaires d'OGM venus de toute la France se sont introduits dans une parcelle de vignes génétiquement modifiées faisant l'objet d'expérimentations sur le virus du court-noué. Ils ont procédé à l'arrachage de l'ensemble des ceps, puis ont averti la gendarmerie et la presse, qu'ils ont ensuite attendues sur place.
Quelles menaces pouvaient peser d'après eux sur l'avenir de la viticulture pour qu'ils délaissent l'habituel maïs devenu désormais un symbole de leur lutte contre la brevetisasion du vivant?
Les pouvoirs publics ont bien sûr dénoncé la sauvagerie et l'obscurantisme, l'archaïsme et l'aveuglement, puis ils ont déploré les années de recherches gâchées par la folie de quelques-uns, entraînant un retard irrattrapable, une compétitivité rabotée sur l'enclume du fanatisme. Dès lors qu'il s'agit d'une atteinte portée à des travaux financés par les deniers publics, on ne pouvait attendre autre chose qu'une indignation des élus. Sans parler de celle des nombreux chercheurs qui ont vu, en l'espace d'une poignée de quarts d'heure, leurs travaux entamés et réduits à néant sous les coups de serpette et de bêche.
À la colère, succède l'interrogation, et dans les médias on fait écho de la légitimité de ces travaux face aux enjeux de l'agriculture de demain, de la pertinence de ses orientations, de leur plus complète innocuité. Puis on leur oppose les arguments des faucheurs, soutenus eux-mêmes par quelques scientifiques provocateurs et une multitude de petits et grands réseaux, de collectifs alarmistes, qui tiennent tantôt d'un débat scientifique difficile à vulgariser tant il est pointu, du discours fleuri de ceux qui attribuent à Dame Nature toutes les vertus et tous les droits incluant celui de refuser le viol, tantôt enfin des idéalistes détracteurs dénonçant un lobbying outrancier et purement vénal.
Revenons malgré tout sur quelques faits, pas toujours mentionnés dans cette foule de papiers :
Cette maladie est un virus transmis à la vigne par le sol, dont le vecteur est un ver minuscule appelé nématode, qui le lui transmet au moment où il se nourrit de sa sève.
Les vignes européennes, depuis le désastre du phylloxéra à la fin du 19ème siècle, sont greffées sur un porte-greffe américain, lui permettant de résister à ce puceron qui l'avait décimée en laissant des plaies sur ses racines. La mort survenait alors par septicémie.
Le nématode qui véhicule le court-noué passant par la terre, les expériences menées par l'Inra concernent la partie enterrée de la vigne, le porte-greffe. L'objectif de ces travaux est de vérifier d'une part l'efficacité de cette méthode (qui vise à attribuer au génome de la vigne - en le modifiant - des capacités de résistance au virus qu'elle n'a pas à l'état naturel) et d'autre part à déterminer les dangers potentiels que pourraient représenter sa culture à grande échelle, en milieu non confiné.
Un des arguments des scientifiques, puisque la question des OGM demeure brûlante sur ce dernier point, repose sur l'affirmation que le transgène - entendez par là la partie de la plante qui a fait l'objet d'une modification humaine - ne pouvait pas se transmettre du porte-greffe vers le greffon (le cépage). Se reposant sur cette affirmation, les viticulteurs-chercheurs ont donc pris le soin de couper les hampes florales des vignes afin de se prémunir d'éventuels problèmes de dissémination dans la nature.
A la lecture de cet exposé, l'initiative des faucheurs paraît aberrante et injustifiée, voire cruelle à l'égard des équipes qui ont consacré 7 années de leur carrière à ces travaux de pointe.
Il convient de lui adjoindre quelques informations, que les médias n'ont sans doute pas su appréhender et intégrer à leurs analyses, préférant sans doute laisser au débat sa dimension passionnelle, infiniment plus vendeuse qu'un roboratif rapport circonstancié.
En 2008, rien moins que le directeur de la station viticole de l'Inra de Colmar Jean Masson faisait part de ses incertitudes dans le quotidien Les Échos au sujet de la fameuse barrière infranchissable du porte-greffe génétiquement modifié vers le greffon. Soudainement, l'édifice se met à chanceler par la base. Curieusement, Jean Masson n'est jamais revenu sur ces propos.
En 1997, une équipe de l'Inra de Versailles qui travaillait sur le tabac, avait déjà déjà mis en évidence la transmission très importante de produits du transgène du porte-greffe vers le greffon.
En outre, Christian Vélot, docteur en Biologie et en génétique moléculaire à l’Université Paris-Sud fait état d'un problème supplémentaire, à son avis bien plus inquiétant encore : « Le véritable danger de cette vigne (comme toutes les plantes transgéniques résistantes à des virus), c’est qu’elle est un véritable réservoir à virus recombinants. Il s’agit de plantes transgéniques dans lesquelles le transgène est un gène viral. La présence de ce transgène les protège contre le virus en question ainsi que contre les virus apparentés (sans qu’on n’en connaisse vraiment les mécanismes intimes). Or, les virus ont une très grande capacité à échanger spontanément leur ADN (phénomène de recombinaison) : les séquences d’ADN viral sont très recombinogènes. Par conséquent, quand cette plante est victime d’une infection virale, il peut se produire très facilement des échanges entre l’ADN du virus infectant et l’ADN du transgène, ce qui conduit à l’apparition de virus dits recombinants dont on ne maîtrise rien et qui vont pouvoir se propager dans la nature. Il est là le vrai danger avec ces plantes, ! Avec des plantes conventionnelles, une telle situation ne peut se produire que si la plante est infectée simultanément par deux virus. Avec ces plantes transgéniques, au contraire, un seul virus suffit et on augmente donc considérablement la probabilité de ces évènements. Tout ceci est expliqué en détail dans mon livre (OGM : tout s’explique) aux pages 140 à 142. »
L'Inra est régulièrement sollicitée pour expertise dans le cadre des Autorisations de Mise en Marché (AMM), préalables administratifs à la commercialisation en France de produits phytosanitaires et de leurs dérivés.
Les représentants de l'Institut ont à plusieurs reprises évoqué, dans la liste des dommages subis par le fauchage de Colmar, l'impossibilité désormais de pouvoir procéder efficacement à leur évaluation.
En revanche, l'Inra détiendrait les clés d'une seconde méthode, visiblement "boudée" par les industriels car inexploitable en l'état pour eux : Alain Bouquet, un de ses chercheurs de Montpellier, est parvenu à trouver une parade au court-noué il y a déjà quelques années, sans recourir à la modification du génome, par simples croisements de différentes souches de porte-greffes. La méthode fait elle aussi l'objet d'une demande d'AMM, qui si elle était accordée pourrait représenter une solution bien plus viable économiquement.
Pour quelles raisons cherche t-on ailleurs?
En fouillant un peu encore, on découvre que la technique employée par l'Inra de Colmar dans ce cas précis fait l'objet d'un brevet international déposé en 1985 par... Monsanto.
Les travaux de Colmar sont donc "encadrés" par ce brevet, renouvelé en 2005 par la firme américaine pour une nouvelle vingtaine d'années. Et par conséquent si l'Inra parvient à imposer son point de vue et arrive aux termes de ses travaux, il y a fort à parier qu'elle ne remplira pas que ses poches...
Quelles conclusions tirer de tout cela?
Il y a 6 ans
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire