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Ça sert à rien, mais ça fait du bien quand même
Ce bel été, j'espère que vous en avez bien profité.
Car alors que nous étions étendus sur un confortable transat, baignés par un soleil vainqueur et totalement dépaysés, un roman captivant à la main et à la recherche de l'abandon total, ce bel été disais-je aura vu dans le même temps de sinistres convois prendre le chemin des airs vers l'est (j'aurais préféré des soutes pleines de rhums), quelques pieds de vigne alsaciens d'apparence innocents saccagés par une bande d'"irresponsables notoires et dangereux" (ICI), les rumeurs de corruption continuer de noircir les colonnes des journaux à tel point qu'ils en sont presque tous devenus "à scandale"...
Bientôt les feuilles des tabloïdes s'amoncelleront aussi nombreuses que celles des arbres rassasiés se délestant d'un poids devenu gênant, jusqu'à noyer les pieds des badauds.
Hé oui, les raisins de septembre s'annoncent aigres comme s'ils auguraient à leur manière d'une fort redoutée vendange sociale.
Les gratte-papiers s'en sont donné à cœur joie, y compris sur internet, certains explorant parfois quelques méandres temporairement mis de côté au profit d'une actualité plus "chaude".
Comme par exemple dans un billet sur le blog de Jacques Berthomeau intitulé "Contribution à une approche fine des bobos buveurs de vins enracinés", où je me suis presque reconnu (ICI). En un exposé aussi bref que lapidaire, l'auteur rend compte d'une énième césure entre les populations, pointant de son doigt vengeur ceux qui ont choisi de consommer autrement, d'investir dans leur alimentation plutôt que dans une occasion récente à prix cassé chez un faillitaire, un bouquet d'actions BNP ou une caisse de grand cru classé chez Leclerc.
On peut décider de fermer les yeux et, ce faisant, de ne pas s'émouvoir sur le renoncement du chef d'entreprise qui baisse une dernière fois son rideau, sur l'impact social et environnemental de l'utilisation faite de l'argent des épargnants par les banques (ICI), ou sur ce que vaudront "en vrai" ces vins revendus quelques années plus tard, sans même avoir été goûtés, à un fétichiste inculte qui de toute façon ne distingue pas l'or dans tout ce qui brille.
Pour certains, il semblerait que le rendement prime sur les caudalies...
Ces bouteilles cossues sont à acheter dans les innombrables succursales de la grande distribution, entre un pack de Vittel, un lot de cacahuètes Benenuts et... un paquet de papier hygiénique. On peut donc profiter d'une virée chez Michel-Édouard et consorts pour garnir son caddie sous prétexte que c'est la manière de tourner qu'a pris le monde et qui sommes-nous-nom-d'un-chien-pour-prétendre-y-changer-quoi-que-ce-soit? On peut même le faire avec le sourire, à l'idée que dans l'adversité ce sont toujours les plus malins qui l'emportent, ceux qui savent "faire des économies". Malheureusement, ces flacons tiennent souvent davantage de la taxidermie que du véritable Art de faire le vin, et nombreux sont les opportunistes d'aujourd'hui qui feront les désappointés de demain...
J'ai dans ma cave encore quelques bouteilles de ce genre (essentiellement des orphelines, issues de vignobles prestigieux), achetées cher et de bon cœur à une époque pas si lointaine où mes repères étaient fragiles.
Seulement, malgré un stockage irréprochable et une patience raisonnablement éprouvée, une fois les attributs de l'élevage en barriques disparus, au moment où le raisin devrait retrouver sa place, ne subsiste plus qu'un macchabée...
D'ailleurs, dans ces flacons richement parés du plus beau vélin, rehaussés d'écritures alambiquées et de volutes classieuses, y a t-il déjà eu réellement quelque chose?
Ces raisins sont-ils toujours en mesure d'illustrer le savoir-faire millénaire qui a fait du vin l'objet de toutes les convoitises gastronomiques?
Ou bien au contraire sont-ils devenus une grossière copie de plastique, débarrassée des incertitudes et affranchie de ce satané millésime qui régente tout?
Peut-être même que bientôt ils pousseront directement avec un code-barre sous la peau pour une meilleure traçabilité, une puce RFID pour un guidage par satellite de la machine à vendanger, un bouton-pression à la place du pédoncule pour égrapper plus vite...
Les fruits viciés de nos cauchemars proviennent-ils de ces vignes où la présence d'un seul ver de terre paraîtrait aussi incongrue qu'une tête de taupe perforant le macadam d'un trottoir de Paris, sous le regard ébaubi des passants?
Des endroits comme celui-ci existent pourtant bel et bien, il suffit d'arpenter nos chers vignobles avec les yeux bien ouverts pour voir que, tous les jours, des hommes marchent sur la lune...
Avec ces raisins comme matière première, la règlementation s'est adaptée (ou peut-être est-ce l'inverse), elle permet désormais l'élaboration de jus blafards que de multiples couches de fonds de teint permettent de rendre tout juste présentables.
Trois cents additifs sont aujourd'hui autorisés rien qu'à la cave, tant pour garantir une hygiène et une stabilité parfaites, que pour rattraper les déficiences de ces raisins malmenés, cueillis avant terme, affaiblis, inaboutis, impropres en l'état à une vinification sereine et peu interventionniste telle que l'ont pratiquée par le passé ceux qui ont donné au vin son statut si singulier et sa mystérieuse attraction.
Il subsiste encore de petits miracles accumulés au fond des caves par des gens avertis et conservés par leurs descendants, entreposés à une époque où cette pharmacopée n'existait pas, et beaucoup sont encore assez fringants pour embraser les cœurs les plus durs.
Bientôt, ce sera au tour de leurs rejetons enfants du progrès chimiquement assistés de recruter dans les rangs des jouisseurs, dévoilant leurs atours aux plus patients d'entre eux.
Que de désillusions alors, lorsqu'ils se rendront compte que la donne a changé, que les sentiers jadis balisés sont jonchés de détritus et peuplés de brigands forts en gueule.
Le marché des additifs est juteux, et il est royalement partagé entre ceux qui créent les déséquilibres agricoles (en premier lieu les fabricants de pesticides) et ceux qui neutralisent ensuite leurs effets sur la vendange (les laboratoires), de sorte qu'au final les uns ne vont JAMAIS sans les autres. Quand ils ne sont pas deux tentacules de la même pieuvre...
Dans tous les cas, la facture est salée, et dix années d'utilisation suffisent à sceller le piège. Il se referme alors sur le vigneron sans lui laisser la moindre possibilité de retour, car ses terres souillées ont besoin d'autant d'années sinon bien davantage pour revenir à leur état d'origine, pour revivre. Beaucoup aujourd'hui le reconnaissent, voudraient bien changer leurs pratiques mais n'ont économiquement aucun autre choix que celui de maintenir leur perfusion bien attachée.
Ces vins nous les retrouvons majoritairement dans les circuits généralistes cités plus haut, et les "grands domaines" n'y sont pas en reste. Le "sang bleu" du Médoc a été transfusé depuis belle lurette et acheté cash par de puissants groupes financiers, compagnies d'assurance, fabricants de médicaments, distillateurs de "solutions" agronomiques (les mêmes qui furent jadis vendues aux états-major des armées comme "finales" et dont on a juste changé la plaquette promotionnelle). Les illustres châteaux sont devenus des "wineries" sauvées de la peste des méventes par le choléra des actionnaires lointains. Ces "bienfaiteurs" ont placé quelques billes aussi chez Carrefour et ont beaucoup d'amis au dernier étage de la Tour Auchan, ceci expliquant cela...
Dans les œillades adressées par les catalogue des foires aux vins de grandes surfaces, si gentiment déposés dans nos boites aux lettres, on pourra trouver également le vin de quelque vigneron perdu, égaré aux abords de cet oasis en ruine auquel son grand-père tenait tant, et dont il se reproche de n'avoir pas su prendre soin. Tant pis pour lui s'il ne constate qu'aujourd'hui l'étendue mensongère des modes d'emploi des produits-miracle, et s'il finit par brader ses propres ouailles au-dessous du prix de revient à des "serial-acheteurs" bien informés, auxquels il ne manque plus que la noire livrée du croque-mort en service commandé.
Dans un dernier spasme et une fois le contrat signé, il se risquera à feuler un courageux "Non monsieur mon slip je le garde!".
Imaginez un instant si les vignerons subissaient le même sort que les producteurs de lait...
Une tranchée se creuse, j'entends déjà le bruit sourd que font les sacs de sable qui s'empilent de loin en loin, les armées de juristes et de législateurs, le doigt sur une énorme gâchette attendant le feu vert de l'agent orange qui condamnera, en un ultime assaut orchestré depuis Bruxelles ou Paris, ce qui reste encore d'authentique dans nos patrimoines gastronomique, culturel et même génétique.
Sous les obus de 22, tomberont, pèle-mêle : le vaillant camembert au lait cru, le vin nature et le pain au levain, les cinémas de quartier, le dernier disquaire.
Le gaz moutarde se chargera d'éradiquer une fois pour toutes les restaurateurs qui ne vont pas chez Métro, les tomates qui ne sont pas hybridées, les poules qui ont encore un bec, les ADN toujours vierges, et les cavistes emmerdeurs.
Le verre que je lèverai si ce moment arrive, pour me donner du courage, c'est en votre compagnie que j'aimerais le boire d'un long trait qui fait monter le rouge du fond du cristal vers le haut des joues.
Même si beaucoup de détails m'échappent, j'ai tout de même fini par comprendre que ça n'est pas avec le nez collé sur la Joconde qu'on embrasse le chef d'œuvre. Que ça n'est pas non plus en disséquant la grenouille que l'on saisit davantage l'étrange miracle qui la met en mouvement. Entre nous, sérieusement, personne n'est jamais tombé amoureux simplement d'un sourire ou d'une jolie paire de hanches, non?
Pour apprécier la beauté, celle de certains vins par exemple, technique et intelligence sont vaines et inutiles. À la première nous devons l'acuité aux détriments du recul, et à la seconde la capacité d'analyse, l'aptitude à "conscientiser", tant pis alors pour la spontanéité.
De loin je leur préfère l'attention et le détachement, pour faire le vide et se désincarcérer du monde hyper-influent qui nous entoure et faire enfin naître l'émotion.
Laurent, attention-méchant-caviste!
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